Dans la jungle législative européenne spécialisée, les professionnels de la protection naviguent parfois à vue. Se conformer aux lois tout en restant efficace ressemble encore, dans certains domaines, à la quadrature du cercle. Une seule solution, s’adapter au plus près, en surveillant l’évolution des textes et en anticipant parfois sur la loi.
À retenir
> La législation française repose principalement sur deux textes régissant l’emploi des produits et matériaux de construction : les arrêtés de réaction au feu, en date du 21 novembre 2002, et de résistance au feu, du 22 mars 2004.
> Le désenfumage est, quant à lui, traité à part (toujours dans l’arrêté
du 22 mars 2004).
> Un secteur en croissance.
> Résistance à l’humidité, incombustibilité, résistance aux chocs, stabilité au feu, sont mis en avant.
> Les nouveaux matériaux aux qualités plus ou moins écologiques risquent de modifier quelque peu le monde de la protection passive. Il faudra donc inventer de nouvelles règles en rapport avec ces nouveaux risques.
Qu’est ce que la protection passive contre l’incendie ? Lapidairement, on répondra que c’est à la fois une stratégie préventive et un marché juteux, une législation stricte et un univers industriel en évolution constante, une affaire d’hommes responsables et des techniques en accord avec leur temps.
En fait, tout le monde peut comprendre que prévenir l’inflammation des matières ou des structures demeure le moyen principal d’éviter les incendies. Le choix et l’utilisation des matériaux ou des techniques réduisent les risques, l’emploi de solutions dites « passives » étant la stratégie la plus efficace pour ne pas avoir à mettre en œuvre les solutions « actives » – donc l’extinction –, avec leurs inévitables conséquences humaines ou matérielles.
La protection passive regroupe donc l’ensemble des moyens pouvant être sélectionnés pour limiter les destructions causées par le feu. Elle s’adresse principalement aux structures et bâtiments, par le choix de dispositifs, systèmes, matériaux pouvant la composer, excluant la plupart du temps l’emploi de l’eau et des produits d’extinction. Ses armes se nomment cantonnements, coupe-feux, calfeutrement, cloisons et portes, protection des câbles et conduits, etc. On peut y ajouter le désenfumage, l’aération, l’isolation, et tous concepts permettant à un bâtiment de répondre aux exigences sécuritaires de la protection des personnes comme des biens et ce, tout au long de sa vie, avec le moins d’entretien possible.
Dans cet arsenal à la liste non exhaustive – puisqu’en évolution constante au fur et à mesure de l’invention de tel ou tel nouveau type de produits, systèmes et matériaux –, une très large place est accordée aux isolants pouvant par leur composition retarder l’inflammation. Revêtements et enduits protecteurs, peintures spéciales, textiles ignifugés, tout est acceptable lorsque l’on peut retarder les départs de feu et freiner sa propagation, ou éviter la post-combustion.
Les initiateurs de cette politique sont multiples, issus des domaines de la construction, de l’industrie, de la protection, de la chimie, etc. Tous sont confrontés en permanence à des textes tout aussi nombreux.
Un marché en croissance exponentielle
Une étude du marché de la protection passive, publiée par MSI Reports (lire encadré) donne un aperçu de son importance et des tendances de ce dernier. Elle rappelle que, déjà en 2005, il représentait quelque 492 M€ potentiels sur l’année, après avoir progressé depuis 2001 de 13 %. À noter que pour les seules portes résistant au feu, 832 000 unités étaient commercialisées – toujours en 2005 –, tandis que les plaques de plâtre, le calfeutrement, les verres résistants au feu étaient également en plein développement.
L’étude évoque aussi les règlements français en matière d’incendie, soulignant leur impact sur certains produits dont les plaques de plâtre « spécial feu », leur évolution, et les perspectives des lois européennes. Elle révèle les promesses d’un secteur en expansion, celui des portes antifeu qui, de 2006 à 2010, grimpe de 17 % par le renforcement de la réglementation et l’application des nouvelles normes. Item pour le calfeutrement, les câbles, le verre, mais aussi les peintures ou vernis. Ces derniers produits affichent cependant une légère stagnation, (3 % en valeur de 2006 à 2010) à cause de la concurrence étrangère de plus en plus agressive.
Des entreprises industrielles, fabricants, distributeurs, installateurs, poseurs, se sont fait une spécialité de tous ces protèges feux, telle Promat, proposant des plaques (Promatect), des accessoires dédiés, des manchons pour les tuyaux en plastique, etc. Dans ses arguments de vente, elle souligne la qualité de sa production (prouvée par son ISO 9000 et 9001), et les avantages de cette dernière. Résistance à l’humidité, incombustibilité, résistance aux chocs, stabilité au feu, sont mis en avant, la marque se positionnant sur un territoire européen, tout en rappelant à ses utilisateurs étrangers les différences obligatoires des uns ou des autres. Une démarche exemplaire, également développée chez la plupart de ses concurrents.
La PP et la loi
Les exigences réglementaires concernent, bien entendu, l’ensemble
des matériaux, procédés, processus et produits pouvant composer, compléter,
construire, améliorer un bâtiment. Pour ne pas perdre son latin dans une jungle
légale très touffue, l’utilisateur – fabricant, poseur, installateur, propriétaire… –,
doit se référer aux codes et décrets ou arrêtés concernant chaque famille :
cloisons, enduits, conduits, ouvrants, verres, désenfumage, etc. Citons en
exemple la règle APSAD R17, consacrée à ce dernier volet, qui concerne
les systèmes de désenfumage naturel installés dans tous types de bâtiments.
Très complète, elle s’applique aux établissements pour lesquels une telle
installation est imposée par la réglementation, mais aussi à tout autre bâtiment,
industriel ou commercial, sur demande du prescripteur. Ce qui fait, en réalité,
un grand nombre d’applications, listées dans un document très riche qui aura été
élaboré en liaison avec les instances « prévention » de la Fédération française
des sociétés d’assurance. Pour faire simple, elle définit, en un nombre
conséquent de pages, les exigences relatives à la conception, l’installation,
la maintenance de tout dispositif d’évacuation naturelle des fumées
et de chaleur. De quoi, pour l’entrepreneur responsable, se torturer
les méninges avec cette lecture ardue et technique.
Les lois et leurs conséquences
Un colloque tenu le 23 juin 2005, sous l’égide de l’Agence française de protection passive (AFPP), détaillait l’Europe du feu, ses textes, et la réalité qui s’y confrontait. Cinq ans plus tard, les analyses présentées par les experts sont toujours d’actualité, même si certaines ont dû subir une évolution notable, issue de données complémentaires et de nouveautés de production. La volonté de clarifier est patente, même si, pour le néophyte, l’ensemble présente un conglomérat de textes et lois apparemment inextricable.
Il faut reconnaître qu’en ce domaine, le législateur n’aura pas déserté les bancs de l’Assemblée : arrêté concernant la réaction au feu des produits de construction, puis des éléments d’ouvrage, arrêtés sur le désenfumage, sur les produits de calfeutrement, sur les verres de sécurité, les plâtres, les mortiers, les enduits, les mousses, les produits intumescents… Nos dirigeants auront pensé à tout, avant que d’autres, à Bruxelles ou ailleurs, n’apportent à leur tour leur pierre à l’édifice.
La législation française repose principalement sur deux textes régissant l’emploi des produits et matériaux de construction : les arrêtés de réaction au feu en date du 21 novembre 2002 et de résistance au feu du 22 mars 2004. Au-delà de leur complexité et de leurs détails, leur lecture révèle un grand souci d’exhaustivité, leurs auteurs ayant souhaité être les plus complets et les plus précis. Ainsi d’une classification des produits de construction, des matériaux d’aménagement, d’un classement conventionnel, pour le premier, des essais et méthodes de calculs, de fabrication, de travaux de laboratoires agréés, pour le second. On notera avec intérêt (annexe IV du premier arrêté), la présentation de tableaux d’équivalences entre le classement français (M) des produits et les euroclasses selon les NF EN 13501-1.
Le désenfumage est, quant à lui, traité à part (toujours dans l’arrêté du 22 mars 2004), démontrant ainsi son importance dans cette lutte permanente contre l’incendie, principalement dans les ERP.
Desseins d’architectes
Les produits et systèmes de protection passive sont soigneusement catalogués
par la loi à disposition des architectes, qui doivent en tenir compte
dans leurs projets. Gaines et conduits, portes coupe-feu, peintures, produits
de calfeutrement, colliers, manchons, éléments vitrés, en sont les composants,
ces derniers bénéficiant d’un statut spécial en regard avec leur prolifération.
Car l’utilisation de grandes surfaces vitrées dans la construction moderne doit
répondre à certaines exigences : le verre ne doit pas laisser passer flammes,
fumées et gaz chauds, ne pas s’effondrer sous leur action, freiner la propagation.
Il doit donc répondre à des critères d’intégrité (E) et de faible radiation (EW),
mais aussi d’isolation (EI) assurant une protection optimale. L’utilisation
des vitrages en protection incendie est d’ailleurs régie par plusieurs directives
ou lois, et les normes européennes EN 1363/1364 (arrêté du 3 août 1999).
Et l’environnement ?
Le développement durable et les nouvelles solutions apportées à la construction des bâtiments de tous types, les nouveaux matériaux aux qualité plus ou moins écologique risquent de chambouler quelque peu le monde de la protection passive. Les normes et solutions de sécurité ou de protection font leurs preuves depuis de nombreuses années, mais qu’en sera-t-il avec l’apport de produits, certes innovants, mais parfois très inflammables ? On pense immédiatement aux maisons en bois, aux ossatures du même genre, aux parpaings à base de paille, à l’utilisation de matières nobles mais fragiles au feu.
Il faudra donc inventer de nouvelles règles en rapport avec ces nouveaux risques, en regardant ce qui se fait ailleurs et en étudiant les solutions proposées par l’architecture bioclimatique, le bois et les autres matériaux biosourcés. Les acteurs de ce secteur y ont bien sûr déjà réfléchi, anticipant les possibilités de protection passive adaptables, par exemple, à la paille compressée, ce dernier produit s’avérant à l’étude finalement peu consumable.
Le bureau d’études d’Olivier Gaujard, constructeur avignonais spécialisé dans ces nouvelles stratégies constructives, avait, en 2009, apporté quelques pistes de réflexion sur le sujet lors d’un débat organisé par l’AFPP :
« Notre réflexion à cet effet est quotidienne et maîtrisée affirmait l’intéressé. Le comportement au feu de nos bâtiments est notre souci permanent, en partenariat avec le CSTB et d’autres organismes. Des procédures d’essai doivent toujours accompagner la mise en œuvre de tel ou tel matériau, afin de garantir une sécurité optimale tout en répondant aux exigences réglementaires. C’est à ce prix que nous pourrons imposer des solutions alternatives innovantes. »
Le colonel Maire, de la prestigieuse BSPP, avait, dans la foulée, enfoncé son propre clou : « Nous n’irons pas contre le sens de l’histoire et du progrès, mais nous sommes rassurés quand nous disposons de normes d’avis techniques, car le mode d’intervention des pompiers se fait en fonction de ce qui se passe lors d’un incendie. Nous observons donc avec intérêt la réaction au feu de ces nouveaux matériaux et isolants, le comportement des panneaux photovoltaïques, celui des façades végétalisées, de la paille, etc. »
Quant à l’aspect réglementaire, Joël Kruppa du Cetim apportait une conclusion intéressante : « Pour que la construction durable se développe, il faut une réglementation objective encadrée, a-t-il précisé. Savoir maîtriser ces ressources naturelles est un nouvel enjeu à prendre en compte, les systèmes novateurs exigeant une analyse des risques encourus avec la vérification qu’ils n’aggravent pas les risques incendie. Si l’ingénierie incendie semble constituer une bonne réponse, elle permet aussi de réfléchir au cas par cas et de pouvoir modifier les paramètres. Alors que la réglementation, essentiellement descriptive, n’est pas forcément optimale… »
Une solution à coups de pinceau
Appliquer sur les surfaces une protection incombustible reste le moyen le plus
facile et le moins coûteux de se protéger contre les incendies accidentels.
Un enduit chimique intumescent, peinture passée au pinceau ou au rouleau,
apportera une solution viable et fiable, basée sur un produit spécial qui se dilate
et se durcit sous l’effet de la chaleur. Une technique très efficace qui a fait
ses preuves, utilisable sur les murs et plafonds, les poteaux de charpentes,
les poutres en acier, etc. Elle peut se compléter d’une ignifugation des textiles
qui retarde le départ d’inflammation de ces derniers lorsqu’ils sont exposés
à une source thermique ou à une flamme.
Calfeutrer pour protéger
Alors que l’on accordera une attention soutenue au calfeutrement
des traversants entre murs et cloisons (câbles, conduits, fibres, tubes,
véhiculant énergies ou fluides), il faudra pour l’optimiser utiliser
les matériaux ad hoc. Ainsi des mortiers spéciaux, faits de ciment
et de vermiculite exfoliée ou de perlite, efficaces en matière d’isolation
thermique. Parfois trop rigides, ils peuvent bloquer les mouvements
de dilatation des tuyauteries et demandent donc la réalisation d’une étude
avant utilisation. Ainsi des mortiers réfractaires, souvent utilisés
en protection passive dans les tunnels, ou des plâtres haute dureté
que l’on rencontre dans l’édification des poteaux ou des murs
dans les ouvrages verticaux. Les enduits associés à des parements de laine
de roche, les mousses silicone bi-composant, les mastics ou pâtes
intumescents sont aussi des procédés efficaces pour le calfeutrement.
Commentez