Interview croisée d'Henri Forest, secrétaire confédéral de la CFDT, Jean-François Naton, conseiller confédéral en charge du travail et de la santé à la CGT et Bertrand Neyrand, chargé de mission confédéral de FO.
En matière de santé au travail, quels événements marquants la CFDT retient-elle de l’année 2013 ?
Henri Forest. Notre syndicat a signé l’an dernier deux accords majeurs. Le premier, l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi, vise à renforcer l’information des représentants du personnel sur la dimension économique de l’entreprise. Le second, l’ANI sur la qualité de vie au travail, est complémentaire et permet l’amélioration de la vie quotidienne des salaries dans leur travail. Tous deux contribuent à augmenter la qualité du dialogue social.
Il s’agit d’un changement paradigmatique sur la prévention des risques. Il incite en effet les partenaires sociaux des entreprises à travailler ensemble et plus en amont sur l’organisation et les conditions de travail. La façon dont s’organise le travail est fondamentale sur la qualité de vie des salariés.
Comment la CGT mesure-t-elle la portée de l’accord sur la qualité de vie au travail ?
Jean-François Naton. Avec l’adoption de l’accord sur la qualité de vie au travail, il semble qu’une partie du patronat accepte enfin de mettre en débat les enjeux de l’organisation du travail. L’enjeu est de retrouver des espaces de discussion où la qualité du travail pourra être mis en débat. Une partie du mal-être du monde salarié repose sur le »Mal Travail » qui empêche les salariés d’accomplir leur mission dans de bonnes conditions. Et parfois avec des conséquences terribles. Je pense notamment à la catastrophe ferroviaire de Brétigny qui, selon le bureau en charge de l’enquête, résulte d’une faute collective de conception de l’organisation du travail. Pour gagner la bataille de l’efficacité et de la qualité du travail, il faut repenser les enjeux et les priorités mais aussi remettre les salariés et la qualité du travail au centre de la réflexion et de l’action.
FO n’a pas signé cet accord, pour quelles raisons ?
Bertrand Neyrand. Nous ne contestons pas l’utilité de cet accord mais nous doutons de son efficacité pour les salariés et nous avons d’ailleurs une double crainte. D’une part, l’accord prévoit que tous les trois ans ait lieu une méga négociation brassant l’intégralité des sujets. Or, certains sujets comme le handicap ou la formation réclament de faire l’objet de discussions particulières. Nous estimons que cette « méga négociation » laissera moins de liberté et d’efficacité à la négociation. L’autre point sur lequel nous sommes en désaccords concerne la création d’espaces de discussion dans l’entreprise.Le danger c’est de court-circuiter l’action des instances représentatives du personnel. Les délégués du personnel, les membres du CHSCT ou du comité d’entreprise ont un statut protégé qui leur permet d’aborder des sujets sensibles. Ce qui n’est pas le cas des autres salariés. Au final, cet accord interprofessionnel met en place une logique de dialogue, mais c’est du marketing. Les entreprises qui le pratiquent déjà ne feront rien de plus, tandis que celles qui ne font rien n’y seront pas contraintes pour autant.
Quelles avancées positives enregistrés vous à la CGT ?
J-F.N. Elles se situent plutôt sur l’amorce d’une prise de conscience que l’un des éléments de la crise est lié au Mal travail qui se manifeste par la montée des pathologies d’origine professionnelles. Les dépenses de santé liées à ces maladies remettent en cause l’équilibre même du système de sécurité sociale. Cela est illustré, entre autre, par le Plan cancer 3 qui met en évidence que les inégalités de santé sont liées aux inégalités sociales. Nous sommes un des pays les plus inégalitaires en termes d’espérance de vie. Suivant les catégories sociales, le phénomène de la double peine est exacerbé dans notre pays et se traduit pour les plus salariés les plus fragiles par plus d’incapacité au travail au sein d’une vie plus courte. Néanmoins, il me semble détecter qu’une prise de conscience émerge, nous allons peut être passer d’une politique basée exclusivement sur la réparation à une politique de prévention.
FO compte se mobiliser fortement sur l’accord relatif à la pénibilité. En quoi son application est elle délicate ?
B.N. Il s’inscrit dans la loi sur la « réforme » des retraites qui se traduit par un nouvel allongement de la durée de cotisation auquel nous sommes opposés. Une bonne partie de la prévention risque de peser sur la pénibilité. Le sujet en tant que tel est délicat puisqu’il va falloir négocier la prévention contre la réduction des points de retrait. En effet, à chaque fois que les efforts de prévention conduiront à l’élimination d’un facteur de pénibilité, alors cette élimination enlèvera des « points pénibilité » sur les comptes personnels des salariés concernés. Des points qu’ils ne pourront plus utiliser pour partir à la retraite plus tôt. L’enjeu syndical et salarial de cette loi est énorme.La gestion du compte personnel de pénibilité promet de soulever des difficultés d’applications dans les PME et chez les artisans. A la différence des entreprises du Cac 40 qui disposent des ressources nécessaires pour sa mise en application. Pour éviter les contentieux, il va falloir négocier au niveau des branches. Nous attendons d’ailleurs le rapport de Michel de Virville (magistrat à la Cour des comptes NDLR) qui doit déterminer les critères de pénibilité.
Sur quels points de cet accord se focalisera la CFDT ?
H.F. Nous serons très vigilants sur la mise en application de la loi sur la pénibilité car le diable se niche dans les détails. Selon la façon dont il sera mis en œuvre, le dispositif bénéficiera équitablement ou non au plus grand nombre des salariés concernés. Le curseur est laissé à l’appréciation du gouvernement. La CFDT sera vigilante pour que le curseur ne soit pas trop bas et dénature l’esprit de la loi. Il faut que les règles soient fixées le plus rapidement possible, avant le 1er janvier 2015.
Le futur Plan santé au travail est en préparation. Qu’en attendez vous à la CGT ?
J-F.N. J’espère que le plan de santé au travail favorisera le travailler ensemble de l’ensemble des forces de sorte à se mobiliser en priorité sur les personnes les plus exposées. Il y a des enjeux humains et financiers d’une urgence absolue.Nous allons faire aussi des propositions pour réorganiser le système de santé au travail au plan national et territorial de façon que les différents acteurs Etat, Aract, Carsat, médecins du travail oeuvrent mieux ensemble et de manière plus efficace. Notre ambition est de revoir la politique de santé au travail en plaçant les institutions représentatives du personnel au coeur de la réflexion. Nous voulons renforcer le rôle et la place du CHSCT pour tous les salariés, dans le pays, c’est un enjeu de démocratie. Mais aussi adopter une politique d’accompagnement aux TPE-PME pour les aider à élaborer des plans de prévention.
Quelles sont vos attentes du côté de FO ?
B.N. Nous voulons contribuer à rendre le futur Plan Santé plus d’efficace. On sait qu’il serait efficace de travailler sur quelque risques choisis selon leur pertinence professionnelle et statistique. Nous aimerions affiner les statistiques afin d’être à même de porter les discussions au niveau de l’organisation du travail et avoir un plan de bataille cohérent sur des risques identifiés.
Sur quels thèmes la CFDT compte se mobiliser en 2014 ?
H.F. Nous poussons pour que domaine de la Santé au travail soit remis à un haut niveau de préoccupation politique et dans le sens d’un meilleur équilibre entre les rôles respectifs de l’Etat et les partenaires sociaux. Il existe un grand cloisonnement entre les instances de gouvernance des organismes qui concourent à la santé au travail en France que sont la branche ATMP, l’Anact, l’Anses, l’OPPBTP, les services de santé au travail. L’objectif est de refonder la gouvernance globale pour plus grande efficacité, une harmonisation et une rationalisation des actions.Enfin dans un contexte de crise qui met en tension les conditions de travail, les moyens mis par l’Etat sont en nette régression dans les agences qui traitent de la santé que sont l’Anses et l’Anact. Le seuil critique pour que ces agences restent en capacité de remplir leurs missions est atteint. Sauf elles en abandonnent une partie.
Propos recueillis par Eliane Kan
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