La réforme de la médecine du travail, en vigueur depuis 2012, entre peu à peu dans les faits. Avec quelques mots clés : pluridisciplinarité, prévention, priorisation des objectifs.
Nouveaux risques professionnels, sensibilité accrue au sujet (voir encadré), raréfaction des postes de médecins du travail, emploi du temps extrêmement contraint par les visites médicales individuelles réglementaires, trop peu de disponibilité pour effectuer l’indispensable travail de prévention en entreprise… tels sont quelques uns des facteurs qui ont justifié la Réforme de la médecine du travail (RMT), entrée en vigueur en juillet 2012. Avec une évidence : la santé au travail est de moins en moins une question purement médicale. Certes, la mission officielle perdure : éviter toute altération de la santé des salariés du fait de leur travail. En revanche, la notion de santé au travail s’est élargie.
Champ d’action étendu. Et de fait, la liste des missions attribuées à la médecine du travail s’est, avec la dernière réforme sensiblement allongée. En clair, les médecins du travail devaient déjà veiller à la santé physique et psychologique des salariés, à leurs conditions de travail, aux risques professionnels. Rentrent désormais dans leurs responsabilités le harcèlement psychologique ou moral, la consommation d’alcools ou de drogues sur les lieux de travail, le maintien dans l’emploi, le suivi des expositions aux risques ou encore la pénibilité.
Atténuer la baisse des effectifs de médecins du travail.Bien entendu, le médecin du travail conserve son rôle particulier. « La médecine du travail reste exclusivement une médecine de prévention », explique Jean-Louis Capron, médecin du travail au Sist-STP (Service interentreprises de santé au travail-Santé au travail Provence). Ce qui, du reste, constitue aussi son principal handicap : elle séduit peu les jeunes médecins, qui n’auront guère, ici, à faire d’ordonnances ni à soigner de maladies. Les effectifs de la médecine du travail, qui compte actuellement 7.000 praticiens, risquent donc de décroître encore plus vite que ceux des médecins en général. « Dans dix ans, nous compterons au STP sans doute moitié moins de médecins qu’aujourd’hui, c’est-à-dire une cinquantaine », estime Jean-Louis Capron.
Deux solutions. Face à ce constat, la réforme propose deux solutions. La première consiste à offrir des passerelles aux médecins déjà actifs qui souhaitent se reconvertir dans la médecine du travail. Car, si cette spécialisation séduit peu les internes, certains médecins en exercice se découvrent en revanche un nouvel intérêt pour cette activité. Désormais, ils peuvent donc se remettre aux études (qui durent quatre ans) et travailler sous le statut de collaborateur médecin dans des services de médecine au travail, sous la responsabilité d’un médecin du travail. Pour l’instant, peu de vocations semblent être nées de ce processus. Une nouvelle réforme est alors en préparation pour faciliter ces transitions. Dans la foulée, une discussion s’est amorcée avec le monde universitaire. « Le nombre réduit de places dans les facultés de médecine constitue un facteur limitant », assure Jean-Louis Capron.
La seconde solution adoptée par la réforme consiste, tout simplement, à décharger les médecins d’une partie de leur travail. De cette manière, si la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) en est d’accord, un salarié peut très bien ne rencontrer son médecin du travail que tous les quatre ans, la visite intermédiaire des deux ans étant réalisée par une Infirmière de santé au travail (Idest). Ce qui permet d’accroître les effectifs suivis par un seul médecin du travail et surtout d’accentuer le suivi de certains métiers prioritaires.
Une plus grande variété d’intervenants. Les infirmières ne sont pas les seuls professionnels auxquels la réforme confie un rôle accru. Conséquence logique de l’élargissement du champ d’action de la médecine du travail, le mot d’ordre concerne bien la pluridisciplinarité, la prévention collective et l’intervention en milieu de travail. Depuis 2002, la médecine du travail fait déjà régulièrement appel à des Intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP) aux compétences variées. Comme les psychologues, les ergonomes, les toxicologues, les techniciens en hygiène et sécurité, le métrologues capables de mesurer les ambiances sonores, thermiques ou vibratoires. Ils devraient voir leur rôle s’accroître. Ainsi le STP compte-t-il 5 IPRP. Un nombre qui devrait augmenter.
La réforme crée une autre profession : les Assistants de service de santé au travail (ASST). « Chez nous, ce sont des secrétaires médicales volontaires qui ont suivi une formation de dix mois au Cnam », explique Jean-Louis Capron. Ce sont elles, notamment, qui se rendent en entreprise pour établir les ‘‘fiches entreprises’’ : elles repèrent les risques, essaient de les évaluer de façon semi-quantitative, de proposer des moyens de prévention et de protection. Ce document est ensuite adressé à l’employeur qui s’en sert pour rédiger son Document unique (DU) et reste également à disposition de l’inspecteur du travail et du contrôleur de laCaisses d’assurance retraite et de la santé au travail(Carsat). « Cela nous donne une meilleure vision de certains établissements, car le tiers du temps que nous devons passer en entreprise est souvent amputé par des visites urgentes ou des activités administratives », explique Jean-Louis Capron.
Des priorités claires pour chaque service de santé. Au STP, les ASST se concentrent actuellement sur les petites entreprises de moins de 20 salariés. Une bonne occasion de se faire la main. Autre raison : les PME constituent désormais l’un des projets de service que la réforme rend obligatoire. En effet, chaque service de santé au travail doit définir des priorités sur plusieurs années avec des indicateurs chiffrés. A noter : ces priorités étant choisies de façon paritaire puisque, là aussi, la réforme a modifié la gouvernance du système et renforcé le rôle des partenaires sociaux.
Chaque SST effectue d’abord ses choix en interne puis dans le cadre d’un contrat pluri-annuel signé avec la Carsat et la Direccte. « Ceci permet de renforcer le pilotage régional des politiques de santé au travail », explique Bénédicte Legrand-Jung, sous-directrice des conditions de travail et de la santé au travail à la Direction générale du travail (DGT) du ministère du Travail. Et Jean-Louis Capron d’opiner : « Désormais, nous sommes dans un véhicule avec un volant et un pilote derrière le volant. Nous savons où nous allons. » Le STP a ainsi choisi de porter particulièrement ses efforts en direction des entreprises de moins de 20 personnes, fréquemment moins structurées pour assurer la prévention. Au programme : lutte contre les Troubles musculosquelettiques (TMS), les Risques psychosociaux (RPS) et la désinsertion professionnelle des populations de seniors. Cependant, la réforme exige une véritable réorganisation des services de santé ainsi qu’un changement culturel. Le médecin du travail, notamment, devient un véritable chef d’équipe.
Catherine Bernard
« La médecine du travail est le premier réseau de prévention en France »
Avis d’expert de Bénédicte Legrand-Jung, sous-directrice des conditions de travail et de la santé au travail à la Direction générale du travail (DGT) du ministère du Travail.
« La réforme de la médecine du travail et des services de santé au travail s’explique par le rôle primordial qu’elle joue : le service de santé au travail est, en France, le premier acteur de prévention pour tous les travailleurs. Il s’adresse à tous et, notamment, aux TPE et PME.
« La réforme traduit également l’importance croissante des enjeux liés aux conditions de travail et aux questions de santé et de sécurité en milieu professionnel. Les salariés sont de plus en plus sensibilisés à des risques émergents comme les risques psychosociaux ainsi qu’aux nouvelles formes d’organisation du travail qui peuvent avoir un impact sur leur santé.
« Les employeurs, eux-aussi, s’intéressent de plus en plus à ces questions car ils prennent conscience que la santé au travail n’est pas seulement une obligation mais aussi un facteur de performance. Cette réforme consacre donc une véritable culture de promotion de la santé au travail. »
Propos recueillis par Catherine Bernard
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