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Risques industriels et environnementaux

L’analyse comportementale peut enrichir la vidéosurveillance

Cette discipline a prouvé sa pertinence avec le profiling. Comment est-elle apparue ? Que peut-elle apporter à la vidéoprotection ?

La morphopsychologie peut-elle aider les métiers de la sécurité et de la sûreté ? Pourrait-elle un jour être transposée en code informatique à bord des caméras de vidéosurveillance afin d’alerter les autorités avant qu’une personne commette son crime ? Bien sûr que non. Néanmoins, la psychologie, la morphopsychologie, la communication non verbale ainsi que l’analyse comportementale, notamment celle des expressions du visage et des émotions, apportent d’ores et déjà leur aide à l’édifice du profiling. Telles étaient, en tous cas, les réflexions qui ont fusé lors d’une table ronde organisée récemment à Paris par l’AN2V.

De Darwin à Lie to Me. Selon Marwan Mery, fondateur de MMG (Marwan Mery Group) et co-fondateur de l’Agence des négociateurs (ADN), spécialiste du comportement non verbal et enseignant à la Sorbonne, rapporte que, dans son étude parue en 1872, L’expression des émotions chez les hommes et les animaux, agrémentée de photos, le naturaliste anglais Charles Darwin est le premier à formaliser six états émotionnels fondamentaux qui s’expriment sur le visage : la joie, la surprise, la peur, le dégoût, la colère et la tristesse. Comme la plupart des théories scientifiques, cet ouvrage évolutionniste suscite la controverse : l’expression faciale des émotions est-elle vraiment universelle? Il faudra attendre 1972 pour le psychologue britannique Paul Ekman dresse une première version de sa liste des 7 expressions universelles : la colère, le mépris, le dégoût, la surprise, la tristesse, la joie et la peur. Pour construire étayer sa théorie, Paul Ekman était allé en Papouasie dans les années 60 à la rencontre de populations qui n’avaient jamais vu l’homme blanc.

Des programmes américain et israélien. « Paul Ekman prouve ainsi que certaines expressions faciales sont indépendantes des processus de culturation », commente Marwan Méry, fondateur de L’Agence des négociateurs (groupe MMGT), expert en négociation complexe, détection du mensonge, gestion des émotions, lecture comportementale et auteur de l’ouvrageVous Mentez (Eyrolles). Les travaux d’Ekman connaissent un grand retentissement. Et le Britannique de se retrouver à former les agents du FBI (Federal Bureau of Investigations) et de la CIA (Central Intelligence Agency) aux États-Unis afin de les aider à détecter les mensonges. Paul Ekman devient également conseiller technique de la célèbre série TV Lie to me. Bref, en vidéosurveillance et vidéoprotection, l’intérêt d’identifier précisément les expressions universelles des émotions sur le visage concerne soit la détection du mensonge, la prévention d’actes dangereux ou l’élucidation d’affaires.

« On référence trois expressions importantes liées à l’agression : le mépris, le dégoût et la colère », détaille Hugues Delmas, psychologue spécialisé en communication non-verbale et en évaluation de la crédibilité, fondateur du site La-communication-non-verbale.com, qui travaille notamment avec des militaires français engagés au Mali. Bien sûr, le visage donne à lire expressions signifiantes mais les attitudes corps dans son entier offrent également des indices importants. « Avant de passer à l’acte d’agression ou de vol, il arrive fréquemment que l’individu diminue son espace interpersonnel (habituellement de 1,5 m de rayon). Puis il regarde autour de lui, reprend Hugues Delmas. L’idée, c’est de détecter qu’une personne va passer à l’acter et d’intervenir avant qu’elle le fasse. » C’est d’ailleurs tout l’objet de deux programmes. Le premier, américain, s’intitule Spot (Screening Passengers by observation techniques) et le second, israélien, s’appelle TBS (Trust-based Security). « Ces techniques peuvent s’appliquer à la sécurisation des espaces confinés comme les aéroports », les gares ou les grandes surfaces commerciales, poursuit Hugues Delmas.

Technologies : pas du tout prêtes. Cependant, la technologie a ses limites. « En France, lorsqu’on appréhende une situation conflictuelle, on tendance à systématiquement occulter l’homme. Du coup, on met des machines…. et on touche le fond !, dénonce Nadine Touzeau, analyste comportemental et environnemental, profiler et net-profiler. Tout, d’abord, on peut détecter le mensonge même lorsqu’on ne parle pas la même langue. Ensuite, on peut aussi tomber sur des menteurs nés. Le problème n’est pas le mensonge mais ce qu’il y a derrière. » Autant de remarques qui interpellent les éditeurs d’intelligence artificielle du monde de la vidéosurveillance. La question est la suivante : l’analyse comportementale pourrait-elle un jour être intégrée sous la forme de logiciels d’intelligence artificielle dans la vidéosurveillance ?

« L’étude comportementale a du sens car elle repose sur des fondements scientifiques », estime Jean-Baptiste Ducatez, directeur exécutif de Foxstream, un éditeur à valeur ajoutée pour la vidéosurveillance, basé à Vaulx-en-Velin (69). Du coup, l’intégrer un jour dans les algorithmes d’analyse d’image semble être une piste envisageable. « Mais on en est très loin, poursuit Stephan Laurent, directeur de CASD, basée à Grenoble (38). Il vaut mieux éviter d’énoncer des promesses que l’on ne peut tenir car cela crée de la déception. »
Moralité : il faut en revenir à l’homme. En revanche, l’analyse comportementale est-elle une discipline réservée aux seuls chercheurs ou bien est-il déjà possible de former des agents de terrain, des opérateurs vidéosurveillance ? Car l’enjeu reste bien de détecter le moment qui précède le passage à l’acte. « En France, on a 20 ans de retard », se plaint Nadine Touzeau. « Néanmoins, estime Marwan Méry, en une semaine, il possible de fournir une bonne formation à des agents de terrain. »

Erick Haehnsen

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