Interview croisée de David Hourtolou (gauche), directeur de l’ingénierie Europe du sud, et de Jean Chevalier (droite), spécialiste des risques Inondation pour l'Europe du sud chez FM Global, assureur mutualiste spécialiste de la gestion des risques d'entreprise.
Comment évolue le phénomène des inondations dans le monde ?
David Hourtolou (D.H.) : En matière de crues, 2010 et 2011 ont été les pires années jamais vues depuis 50 ans. On constate une accélération de ces phénomènes. C’est difficile à mesurer mais, classiquement, il est convenu de mesurer le risque inondation en se référant aux crues centennales. Notamment la crue historique de la Seine qui a inondé une immense partie de Paris en 1910. Pour mémoire, le niveau de la Seine était de 8,62 m au pont d’Austerlitz ! Le phénomène nouveau, que nous constatons aujourd’hui avec nos clients industriels d’une façon générale, est un véritable dépassement des cotes de cette crue centennale. En France, nous estimons que 1/10ème de nos clients industriels sont exposés, soit 4 500 sites !
Jean Chevalier (J.C.) : Katrina à La Nouvelle Orléans en 2005, Bangkok en 2011, le sud de la Russie en juillet 2012, l’Elbe et le Danube en juin 2013, dans la région de Krasnoda, l’Europe de l’est et du nord en 2013, Sandy sur côte est des États-Unis en 2013, le sud du Royaume-Uni ainsi que la Bretagne, le sud-est et le sud-ouest de la France début 2014… il y a de plus en plus d’inondations et ces inondations sont de plus en plus intenses. Dans ce contexte, les inondations de Thaïlande ont eu un impact économique intense qui a mis en évidence l’interdépendance des entreprises internationales les unes avec les autres en matière de production industrielle et de logistique.
D’éminents chercheurs, comme Uwe Ulbrich (Université de Berlin), disent qu’on manque de données scientifiques pour prévenir le risque de crue. Qu’en pensez-vous ?
D.H. : En fait, il existe pas mal de cartographies des risques d’inondation mais on ne les utilise peut-être pas suffisamment. La plupart d’entre elles sont basées sur les risques de crues centennales. Mais les modélisations de nos ingénieurs sont amenées à aller plus loin, vers les crues 5-centennales (qui ont une probabilité d’occurrence de 0,2% chaque année). Concrètement, cela signifie qu’on rajoute entre 30 cm et 60 cm d’eau par rapport à une crue centennale.
J.C. : L’État français a mis en place une cartographie qui offre une première évaluation de ces risques. Laquelle aide à définir des Plans de prévention des risques d’inondation (PPRI). Or ces cartes conduisent à remettre en cause certaines constructions qui se retrouvent en zones inondables. Ces évaluations ne sont pas définitives. Et, souvent, nos ingénieurs sont les premiers à annoncer à nos clients industriels que leur site est implanté en zone inondable. Telle est la réalité du terrain.
D.H. : On connaît mieux les risques liés aux grands cours d’eau que ceux des affluents et petits cours d’eau. A cet égard, FM Global a mis sur pieds une équipe de 5 hydrologues pour faire, notamment, du Big Data et constituer une base de connaissance pour dresser une cartographie mondiale du risque d’inondations dans tous les grands bassins hydrologue de la planète. En particulier dans les pays émergents où la consolidation n’est pas forcément très opérationnelle.
Allez-vous, à votre tour, partager vos données ?
D.H. : Le chercheur Uwe Ulbrich a raison lorsqu’il dit que les données ne sont pas suffisamment partagées. Il est vrai que l’on pourrait s’inspirer de l’initiative internationale Global Earth-quake Mapping (GEM) qui a défini des standards pour dresser une cartographie mondiale du risque sismique. Pourtant, il existe, au plan local, un nombre énorme de données mais il faut aller les chercher de sorte à construire une vision globale. A cet égard, FM Global travaille, en France, avec les Établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) ainsi qu’avec l’Association française pour la prévention des catastrophes naturelles (AFPCN). Et, comme FM Global est une mutuelle d’assurance, nous pensons que nous devons faire bénéficier le plus grand nombre de nos données. Mais notre cartographie est encore en cours de constitution.
Y a-t-il une aggravation du risque ?
D.H. : Historiquement, beaucoup de choses ont été faites en matière d’ouvrages d’art (digues, barrages de retenue d’eau…) en Europe et dans le monde. Mais ces ouvrage ne peuvent jouer leur plein rôle que s’ils sont bien maintenus dans le temps.
J.C. : En Europe, il y a la Directive-cadre sur l’eau européenne 2000/60/CE. Mais on n’en voit pas encore les effets sur le terrain. Plutôt qu’un manque de données, on a surtout besoin d’une forte prise de conscience en matière de prévention du risque d’inondation.
Que doivent faire les 4.500 industriels que vous avez évoqués en matière de prévention et de protection contre le risque d’inondation ?
J.C. : Une fois que l’industriel sait qu’il va être inondé, il convient d’élaborer un Plan de préparation à l’inondation afin de réduire le risque. On commence alors par définir les cotes d’alerte : si l’eau monte au-dessus d’un certain niveau, il y aura telle et telle mesure à prendre. Comme arrêter la production, sur-élever les stocks, déployer des batardeaux, à savoir des barrières en aluminium avec des joints étanches qui protègent de l’inondation jusqu’à 1 m d’eau. Quant aux sacs de sable ou en matériaux légers qui gonflent à l’eau, ils s’avèrent précieux mais pour des besoins ponctuels localisés. Nous travaillons également avec nos clients pour développer une protection en amont notamment en construisant des digues privatives en terre ou béton. Il s’agit alors de moyens permanents. On quitte la prévention pour entrer dans l’élimination du risque. Mais c’est très cher. Pour une digue de 1 km de long et 2 m de hauteur il faut compter, en gros, 1 million d’euros.
Les industriels sont-ils prêts à consentir de tels investissements ?
D.H. : Oui… s’ils ont été inondés et qu’ils ont dû arrêter leur production pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. La grande inconnue, c’est de savoir combien de temps l’eau va rester dans les locaux. Il faut aussi combattre une idée reçue : la mauvaise utilisation des sous-sols où l’on voit trop souvent des installations électriques et informatiques, voire les archives. Or le scénario des sous-sols est toujours le même : ils finissent par être remplis d’eau à cause soit des infiltrations soit des remontées d’eau soit des inondations.
J.C. : Parmi les moyens de prévention, il faut bien sûr installer les réseaux électriques et informatiques au-dessus du niveau d’eau potentiel. De même pour les machines industrielles critiques. C’est du bon sens.
D.H. : J’ajouterai que le PPI n’est pas aussi cher qu’on pourrait le croire. Sur 118 sinistres d’inondation que nous avons recensés en France, les 60% d’industriels qui avaient adopté un PPI ont réduit par 3 le coût moyen de sinistre par rapport aux 40% qui ne l’avaient pas fait. Une bonne préparation réduit considérablement les pertes.
Propos recueillis par Erick Haehnsen
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