La loi sur le dialogue social élargit le rôle et les moyens de la profession. Le médecin du travail a notamment pour mission d'assurer la sécurité des tiers en délivrant aux salariés concernés une aptitude sécuritaire. Par ailleurs, ces derniers vont faire l'objet d'un suivi spécifique.
La France compte 22,8 millions de salariés pour quelques 5.600 médecins du travail dont 40% ont plus de 60 ans. Cette profession créée en 1946 souffre non seulement d’un vieillissement mais aussi d’une désaffection des jeunes médecins pour cette discipline. Pour pallier cette pénurie annoncée, le législateur a pris différentes initiatives. La première concerne la loi du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail. Laquelle permet à des médecins déjà actifs de se reconvertir dans la médecine du travail en reprenant le chemin des études, tout en travaillant sous le statut de collaborateur médecin dans des services de médecine au travail, sous la responsabilité d’un médecin du travail.
La loi de 2011 consacre aussi l’apparition d’équipes pluridisciplinaires constituées d’ergonomes, hygiénistes, toxicologues, psychologues du travail, etc. L’intégration de ces professionnels de santé dans les services de santé au travail (SST) vise à décharger le médecin du travail. Lequel va voir son rôle de coordinateur renforcé avec l’adoption de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi publiée le JO du 18 août (article 26).
Ce texte s’inspire du rapport Aptitude et médecine du travail rédigé par le député PS Michel Issindou en collaboration avec Sophie Quinton-Fantoni, professeur de médecine du travail, et Christian Ploton membre de la DRH de Renault. Tous trois ont été chargés par Marisol Touraine et François Rebsamen, respectivement ministres chargés de la santé et du travail, d’évaluer la pertinence des notions d’aptitude et d’inaptitude médicales au poste de travail et de proposer des évolutions du système de surveillance de l’état de santé dans une visée préventive.
Rôle du médecin élargi. L’article 26 de la loi sur le dialogue social reprend plusieurs propositions du rapport en modifiant notamment certains articles du Code du travail. Dans ce contexte, le médecin du travail voit ses missions de prévention s’élargir à la sécurité des tiers, conformément à l’article 4622-3.
De son côté, la loi sur le dialogue social introduit en effet la notion de postes de sécurité dans le Code du travail. Laquelle concernerait entre 3% et 4% des métiers tels que les pilotes d’avion, conducteurs de train, grutiers, etc. L’article L. 4624-4 énonce désormais que « les salariés affectés à des postes présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, celles de leurs collègues ou de tiers et les salariés dont la situation personnelle le justifie bénéficient d’une surveillance médicale spécifique. Les modalités d’identification de ces salariés sont déterminées par décret en Conseil d’Etat. » Jusqu’à présent la Surveillance médicale renforcée (SMR) concernait uniquement les salariés âgés de moins de dix-huit ans, les femmes enceintes et les travailleurs handicapés. Ainsi que les salariés exposés à l’amiante, aux rayonnements ionisants, au plomb, au risque hyperbare, au bruit, aux vibrations, aux agents biologiques des groupes 3 et 4, aux agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques.
Cette liste va donc s’allonger avec les salariés occupant des postes à risque. Dans la pratique, ce contrôle n’est pas une nouveauté. « Dans les grandes structures comme à la RATP ou chez Air France, il existe un service spécifique qui contrôle par des tests techniques l’aptitude sécuritaire de l’employé, relève Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail. Ce représentant se fait l’écho des nombreuses critiques dont le rapport Issindou a fait l’objet. En demandant aux médecins du travail de faire de l’aptitude sécuritaire, cela va dans le sens d’une élimination à l’embauche des gens fragiles. »
Rythme des visites revu par décret. Les modalités de la surveillance médicale spécifique vont être déterminées par décret. Idem d’ailleurs pour les visites médicales auxquelles sont soumis l’ensemble des salariés. La consultation d’embauche pourrait être remplacée par une visite obligatoire d’information et de prévention menée dans les 3 à 6 mois après la prise de poste par un infirmier.
Selon le site de notre confrère Le Quotidien du Médecin, les salariés ne pourraient voir le médecin du travail non plus tous les deux ans mais tous les cinq ans. Avec, dans l’intervalle, une visite chez un infirmier. La possibilité de visite à la demande demeure.
Dans ce contexte, les avis d’aptitude rendus par les médecins du travail vont aussi faire l’avis d’un décret. Ils pourraient être remplacés par une attestation nominative de suivi de santé remise par les infirmiers – qui en cas de problème pourraient faire remonter le cas au médecin du travail.
Moyens d’action renforcés. En cas de risque pour la santé des travailleurs, la loi Rebsamen renforce les moyens d’action de ce dernier. Le médecin du travail peut suggérer des mutations ou des aménagements de postes (article 4624-1). Il peut aussi dorénavant proposer à l’employeur l’appui de l’équipe pluridisciplinaire du service de santé au travail ou d’un organisme compétent en matière de maintien dans l’emploi.
En cas de contestation de l’avis du médecin du travail, la partie qui le conteste doit en informer l’autre partie (2e alinéa de l’article L. 4624-1).
Par ailleurs, les alertes relatives aux risques pour la santé des salariés émises par le médecin du travail. devront maintenant aussi être transmises au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Ou, à défaut, aux délégués du personnel, à l’inspecteur ou au contrôleur du travail, au médecin inspecteur du travail ou aux agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale et des organismes mentionnés à l’article L. 4643-1. Lorsqu’il constate un risque pour la santé des travailleurs ou qu’il est saisi d’une question par l’employeur, le médecin du travail peut faire des propositions et préconisations écrites. Ces éléments seront transmis au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et à l’inspecteur du travail. La Direction générale du travail (DGT) précise que c’est à l’employeur de les transmettre.***
Obligation de reclassement allégé. En cas d’inaptitude professionnelle suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle, le législateur donne à l’employeur la possibilité de rompre le contrat de travail . Et ce, dans le cas où l’avis du médecin du travail mentionne expressément que tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé (article L. 1226-12) « Cela signifie, a priori, que, dans le cas où le médecin du travail indique sur l’avis d’inaptitude que le maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé, l’employeur pourrait licencier le salarié pour inaptitude sans avoir à rechercher et à proposer de poste de reclassement », soulève, de son côté, le syndicat CFE-CGC Santé au Travail qui réunit des médecins du travail et des professionnels des services de santé au travail.
Eliane Kan
Dominique Huez (ASMT) : « La loi sur le dialogue social cherche à démédicaliser la médecine du travail »
Avis d’expert de ce médecin du travail, également vice-président délégué de l’Association santé et médecine du travail (ASMT) qui offre un échange sur les pratiques professionnelles et leurs conséquences scientifiques, sociales et éthiques pour agir sur l’évolution de la médecine du travail.
« Sous prétexte de simplification, le rapport Issindou et la loi sur le dialogue social cherchent à démédicaliser la médecine du travail qui est jugée trop centrée sur les salariés et moins sur l’intérêt juridique des employeurs. Depuis quelques années, on constate l’existence d’un consensus qui vise à laisser mourir la médecine du travail faute d’en comprendre et mesurer les enjeux et en étranglant ses ressources.
« Par ailleurs ce mouvement qui vise à démédicaliser la médecine du travail est favorisé par la loi du 17 janvier 2002 qui transpose la directive cadre de 1989. Laquelle oblige les Etats-membres de l’Union européenne à mettre en œuvre une approche pluridisciplinaire de la prévention des risques professionnels. En France, cette loi se déploie dans les services de santé au travail à coût constant, donc aux dépens de la prévention médicalisée.
« Pour accélérer ce mouvement, un projet de décret entend confier la visite d’embauche à des infirmières qui ne disposent d’aucun statut. Il prévoirait aussi de supprimer la visite médicale périodique qui doit être effectuée en principe tous les deux ans. Elle devrait être remplacée par une visite d’employabilité.
« Les conséquences vont être lourdes pour la santé au travail des salariés car les médecins du travail ne seront plus en mesure d’informer les salariés la réalité des risques et de leur prévention. En effet, en rencontrant périodiquement chaque travailleur d’un collectif de travail, le médecin du travail peut percevoir des symptômes, des états de mal-être avant qu’une pathologie ne se constitue. C’est en rencontrant les salariés qu’il peut s’interroger sur l’existence d’un lien de causalité entre leur état de santé et l’organisation du travail par exemple. Dans ce cas, il pourra faire des préconisations individuelles valant prescription médicale et conseiller la prévention collective. Cette rencontre périodique est donc indispensable car elle nourrit et permet de faire de la prévention primaire sur les lieux de travail.
« Par ailleurs, la loi sur le dialogue social impose, au nom de la sécurité, que la médecine du travail se transforme en médecine sécuritaire et qu’elle délivre une aptitude sécuritaire. Or la relation entre le salarié et le médecin est basée sur la confiance. La médecine sécuritaire se déploie sans la confiance, en dehors de l’intérêt pour la santé d’un travailleur. Elle n’a aucune vertu prédictive et contrairement à la médecine du travail, ne permet pas aux salariés de pouvoir préserver ou construire leur santé au travail, contrairement à la médecine du travail dont c’est l’objet. »
Propos recueillis par Eliane Kan
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