Au terme de cinq années de recherches, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a enfin publié son rapport sur l’impact des pesticides sur les agriculteurs. Le constat est sans appel : il est urgent de réduire l’usage des pesticides afin de protéger la santé des travailleurs de l’agriculture. Lesquels constituent les premières victimes de ces produits chimiques extrêmement nocifs. « De nombreuses études épidémiologiques mettent en évidence une association entre les expositions aux pesticides et certaines pathologies chroniques (…). Notamment certains cancers (hémopathies malignes, cancers de la prostate, tumeurs cérébrales, cancers cutanés, etc.). Ainsi que certaines maladies neurologiques (maladie de Parkinson, maladie d’Alzheimer, troubles cognitifs) », mentionne le rapport de l’Anses.
Des connaissances jusqu’ici très incomplètes
Il faut savoir que dès 2011, l’Anses s’était auto-saisie de cette question afin d’en savoir d’avantage sur les expositions aux pesticides, qui, rappelons-le, concernent un million de personnes travaillant dans les champs et les étables. A savoir les éleveurs, les céréaliers, les saisonniers et même les chefs d’exploitations agricoles. S’en suit une période longue et laborieuse durant laquelle l’agence a dû décortiquer de très nombreuses études scientifiques, interroger de nombreux experts ou bien mener elle-même des études afin de publier ce rapport »explosif ». Entre autres, l’agence pointe de nombreuses données lacunaires sur les expositions. Pourtant, l’Anses avait lancé de février à avril 2014, un appel à contributions sur la scène des agences européennes, des scientifiques, des associations, industriels et particuliers afin de récolter un maximum de données. Déjà en 2013, une étude en collaboration avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) avait permis de révéler la responsabilité des pesticides pour plusieurs pathologies (cancers, maladies neurodégénératives, malformations du fœtus…).
Méfiance à l’égard des données existantes
Par ailleurs, l’agence remet en question la fiabilité des données existantes, notamment dans le cadre de l’homologation des produits nécessaires à leur mise sur le marché. Dénonçant le fait qu’elles « sont pour certaines produites par des organismes non indépendants ayant un intérêt économique à la vente de pesticides ». Etant pour la plupart, commanditées et financées par des industriels, ces données « ne sont pas accessibles et n’ont pas donné lieu à une validation scientifique par des pairs. Ce qui en dit long sur leur fiabilité… De fait, l’agence recommande de revoir en profondeur les procédures d’homologation afin de « les harmoniser entre les trois types de pesticides » (produits phytopharmaceutiques, biocides et médicaments vétérinaires). Le but étant de « s’assurer qu’elles ne sous-estiment pas les expositions, qu’elles s’appuient sur des données validées scientifiquement » et de rendre transparent « l’ensemble des données utilisées dans le processus d’évaluation ».
Des données individuelles »mal documentées »
En ce qui concerne les données liées aux caractéristiques individuelles des agriculteurs (âge, sexe, statut), l’agence déplore le fait qu’elles soient « mal documentées » et ce, « alors qu’elles peuvent être associées à des risques de santé spécifiques (par exemple femmes en âge de procréer et risques pour le fœtus, les personnes en situation de précarité avec un accès aux soins limité) ». Même refrain en ce qui concerne les innombrables opérations réalisées par les travailleurs agricoles, lesquelles s’avèrent « peu documentées et peu considérées dans l’évaluation des risques ». Citons, parmi elles, les tâches en contact avec des végétaux, des animaux ou des surfaces traitées mais aussi l’élevage et l’utilisation de biocides qui nécessitent une combinaison de protection contre les pesticides (traitement des cultures, des animaux, des bâtiments, du matériel).
Lacune dans le port d’équipements de protection
Les EPI tels que la combinaison, le masque et les gants sont sensés protéger à 90% les travailleurs contre les pesticides. Ainsi constituent-ils« une des clés de voûte permettant la délivrance de l’autorisation de mise sur le marché des produits », rappellent les experts. Or il faut savoir que, en réalité, les agriculteurs ne les portent pas forcément avec assiduité ou bien ne les changent pas assez régulièrement. Ainsi, « malgré les évolutions continues et permanentes des procédures d’homologation au cours des dernières décennies, certaines limites peuvent encore interroger sur leur pleine capacité à empêcher la mise sur le marché de substances à risque pour la santé humaine ».
Diminuer à tout prix le recours aux pesticides
Pour l’agence, le plus urgent est désormais de diminuer drastiquement le recours au pesticides. Et ce, en modifiant la stratégie du plan national Ecophyto. Lequel ambitionnait de réduire de moitié leur usage. Or, originellement prévue pour 2018, l’échéance a été repoussée à 2025 du fait que l’utilisation des produits phytopharmaceutiques ait augmenté de plus de 5% entre 2009 et 2013. Il s’agit donc pour l’Anses de mettre « en œuvre dès maintenant sans attendre 2020 une réelle politique d’accompagnement des acteurs en faveur de la réduction d’utilisation des pesticides : fondée sur la recherche d’une moindre dépendance des systèmes de culture aux pesticides permise par des stratégies de reconception de ces systèmes. » Enfin, l’Anses souhaite consolider la formation des utilisateurs sur les dangers des pesticides en insistant sur le « cadre indépendant » des formations. De sorte à ne pas impliquer dans la boucle des organismes de formation liés aux industriels ou à la vente des produits chimiques.
Ségolène Kahn
Commentez