Le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) est l’une des mesures de la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraite. La mise à disposition des premières statistiques sur les droits acquis en 2015 est l’occasion de présenter un point d’information sur ce dispositif. Au-delà du C3P, deux questions émergent : quels sont les liens entre pénibilité du travail et état de santé des seniors ? Et quels sont ceux entre état de santé des seniors et âge de départ à la retraite ? Pour le Cor, il s’agit alors de savoir si les conditions de travail actuelles en France constituent un frein au maintien en emploi à des âges plus élevés et d’éclairer les liens entre retraite et santé.
Un plafond de 100 points pour toute la carrière
Financé par des cotisations à la charge des employeurs, le C3P permet aux salariés des régimes général et agricole d’acquérir 4 points par année d’exposition à l’un des dix facteurs de pénibilité physique retenu (8 points en cas d’expositions multiples). Ces points peuvent être utilisés pour des formations, des réductions du temps de travail ou la retraite, les 20 premiers points étant réservés à la formation. En particulier, 10 points permettent de valider un trimestre supplémentaire de durée d’assurance et d’anticiper d’un trimestre l’âge de départ à la retraite. Comme le nombre de points attribués au cours de la carrière est plafonné à 100 (dont 80 utilisables pour la retraite), il sera possible à terme d’obtenir jusqu’à deux ans de majoration et de départ anticipé via le C3P. Des règles spécifiques s’appliquent aux générations aujourd’hui proches de la retraite.
Les hommes plus exposés que les femmes
Un peu plus de 500.000 salariés affiliés à la Caisse nationale d’allocation vieillesse (Cnav), soit 2,2 % des cotisants de la Cnav, ont été déclarés comme exposés à un facteur de pénibilité en 2015. Durant cette première année d’application du dispositif C3P, seulement quatre des dix facteurs de pénibilité retenus étaient pris en compte. Les hommes sont plus exposés que les femmes (3,2% contre 1,1%), et les 41-55 ans plus que les moins de 26 ans (2,9% contre 1,1%). Les secteurs d’activité les plus exposés sont l’industrie manufacturière, les transports et les secteurs liés à l’environnement (production et distribution d’eau, assainissement, gestion des déchets et dépollution). Sur la base d’hypothèses conventionnelles, celles d’un salarié non cadre à carrière continue né en 1980 ayant une espérance de vie de 2 ans plus faible que celle de sa génération et bénéficiant d’un départ anticipé à 62 ans au lieu de 64 ans via le C3P, le coût actuariel du C3P sur cycle de vie représenterait environ 45% du dernier salaire annuel pour la Cnav – et un peu plus de 70% du dernier salaire annuel au total pour la Cnav et l’Arrco. Ce cas type ne saurait prétendre à représenter la diversité des situations. Si l’individu est inactif avant la retraite, le coût pour la Cnav serait supérieur à 70% du dernier salaire annuel. En contrepartie de ce coût, la Cnav recevra une dotation du fonds de financement de la pénibilité.
Comment évolue l’état de santé des seniors ?
Entre 2008 et 2015, la proportion de seniors de 55 à 69 ans déclarant des limitations d’activité s’est maintenue en France aux alentours de 30 à 35%. Les évolutions sont peu significatives mais il semblerait que l’état de santé des 65-69 ans se soit plutôt amélioré tandis que celui des 55-59 ans se soit plutôt détérioré. Dans les quatre pays étrangers étudiés (Allemagne, Italie, Royaume-Uni, Suède), la proportion de seniors déclarant des limitations d’activité s’est également maintenue, parfois à des niveaux plus élevés qu’en France (Allemagne), parfois à des niveaux plus faibles (Suède). Reste à savoir quelles sont les conséquences d’une exposition durable à des facteurs de pénibilité. Les seniors qui ont été durablement exposés à des pénibilités physiques sont moins souvent en bonne santé et moins souvent en situation d’emploi. Les seniors dont l’état de santé est dégradé conservent plus facilement leur emploi s’ils bénéficient d’aménagements de poste ou de conditions de travail mais à peine plus d’un sur dix en bénéficie.
La comparaison des seniors français par rapport à leurs homologues européens dépend des critères de pénibilité physique ou de stress considérés. La France ne se démarque pas globalement des autres pays. En France comme à l’étranger, les seniors se déclarent en général moins exposés aux différentes formes de pénibilité que les actifs plus jeunes de leur pays. Au niveau européen, deux facteurs de pénibilité réduisent la probabilité qu’un senior se déclare prêt à faire le même travail qu’actuellement lorsqu’il aura 60 ans : les postures physiques (surtout chez les hommes) et les horaires de travail (surtout chez les femmes).
Quel est l’état de santé des seniors au moment du départ à la retraite ?
Combien d’années de travail supplémentaire pourraient effectuer les seniors s’ils travaillaient aussi longtemps que leur santé le permet ? La retraite ne vise pas simplement à procurer un revenu aux personnes dans l’incapacité de travailler, elle constitue un « droit au repos » après la vie active. Certaines études internationales s’interrogent toutefois sur l’allongement de la durée d’activité permis par l’amélioration de l’état de santé des seniors au fil du temps. Les résultats sont très dépendants du critère utilisé pour mesurer l’état de santé. Si l’on considère que la baisse de la mortalité entre 1977 et 2010 reflète une amélioration de l’état de santé des seniors, ces derniers pourraient travailler en 2010 quelques années de plus qu’en 1977 dans les différents pays étudiés dont la France. Mais si l’on apprécie l’état de santé à partir d’une question sur l’état de santé ressenti, ce dernier aurait plutôt tendance à stagner entre 1977 et 2010, du moins en France).
D’où la question : le départ à la retraite a-t-il pour effet d’améliorer ou de détériorer l’état de santé ? Certaines études constatent des évolutions de l’état de santé au moment du passage à la retraite, sans prouver d’effet causal. Plusieurs travaux récents essaient d’estimer rigoureusement un effet causal du départ à la retraite sur la santé, avec des conclusions diverses : cet effet apparaît souvent non significatif et, lorsqu’il l’est, il joue plus souvent dans le sens d’une amélioration que d’une détérioration de l’état de santé. On peut penser enfin que cet effet est différencié en fonction du type d’emploi occupé ou des caractéristiques individuelles, mais un tel résultat est difficile à démontrer rigoureusement.
Erick Haehnsen
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