Interview de Valérie Langevin, experte d'assistance conseil sur les risques psychosociaux à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Cet organisme a mené plusieurs actions en 2016 pour aider les entreprises à prévenir les RPS. Bilan de cette mobilisation qui vise notamment à sensibiliser le personnel d'encadrement intermédiaire et perspectives 2017.
Le 7 juin 2016, le ministère de la Santé a adopté le décret n°2016-756 qui vise à mettre en place des modalités spécifiques pour attribuer le titre de « maladie d’origine professionnelle » aux pathologies psychiques. Pour la première fois, des psychiatres sont associés aux travaux d’évaluation menés par les comités régionaux. En cas de reconnaissance, l’employeur devra faire face à une augmentation du travail administratif et de ses cotisations AT/M. Autant d’impacts qui vont inciter les entreprises à prendre des mesures pour limiter les risques de Risques psychosociaux (RPS). Dans ce contexte, qu’avez-vous mis en œuvre en 2016 pour aider les entreprises à prévenir ce risque ?
Les risques psychosociaux (RPS) tels que le burn-out, le stress chronique ou le harcèlement peuvent engendrer des atteintes graves à la santé. A titre d’exemple, le stress chronique au travail – qui résulte d’un déséquilibre perçu entre les contraintes de travail et les ressources pour y faire face – peut aboutir à des maladies cardiovasculaires, des TMS, des dépressions, voire même des tentatives de suicide. En 2007, son coût a été estimé entre 1,9 et 3 milliards d’euros. Pour aider les entreprises à prévenir ces risques, nous avons édité cette année de nouveaux supports dont un catalogue qui présente l’essentiel des productions INRS (brochures, dépliants, affiches, vidéos…) sur les RPS.
Au sein des entreprises, à qui ces publications sont-elles destinées et quel est l’objectif ?
Les nouveaux supports de 2016 s’adressent aux salariés et aux managers. C’est à dire aux chefs d’entreprise, aux responsables d’encadrement et aux responsables des ressources humaines. Avec ces publications, nous voulons inciter les salariés à parler des risques psychosociaux et les orienter vers les acteurs de prévention sur le terrain. Mais il s’agit aussi de donner aux managers les clés de compréhension pour agir en prévention des risques psychosociaux.
Qu’est-ce qui caractérise vos affiches et quels sont les thèmes abordés ?
L’INRS est connu dans les entreprises entres autres pour ses affiches sur la sécurité. Nous y avons recours pour parler de sujets graves, assez souvent sur un ton décalé. Il nous a semblé que le moment était propice pour adopter ce type de communication sur les RPS, de manière à ce qu’ils ne soient plus tabous dans les entreprises. Nous avons donc décliné 7 idées reçues en matière de RPS*. Parmi lesquelles, Les risques psychosociaux, ce n’est pas si grave ou encore Le stress, c’est dans la tête. Avec ces affiches, nous voulons interpeller les salariés ainsi que les managers et susciter des discussions collectives, faire en sorte que ceux qui souffrent libèrent leur parole et se rapprochent des acteurs compétents en matière de prévention. Ces affiches ont d’ailleurs suscité beaucoup d’intérêt de la part des entreprises.
Comment aidez-vous les salariés à libérer leur parole ?
Nous avons réalisé un dépliant intitulé Risques psychosociaux, en parler pour en sortir qui référence les personnes pouvant être sollicitées dès lors que le salarié se sent victime de stress, d’agression, de burn-out ou de harcèlement au travail.
IEP : Quelle stratégie avez-vous déployée l’an dernier pour sensibiliser les managers ?
Outre les affiches, nous avons édité une brochure à l’attention notamment du personnel d’encadrement intermédiaire. C’est assez rare car, habituellement, nous nous adressons davantage à ceux qui ont en charge la prévention des risques, qu’il s’agisse des responsables de la sécurité et de la santé au travail (RSST), des DRH ou des employeurs. Dans cette perspective, nous donnons aux managers 9 conseils pour prévenir au quotidien les RPS**. Par exemple « Evaluez la charge de travail », « Donnez de l’autonomie aux salariés » ou encore « Soutenez vos collaborateurs ». Ce thème a d’ailleurs fait l’objet en novembre d’un webinaire qui a été suivi par près de 250 internautes dont la moitié était dans notre cible première.
Quelles actions menez-vous justement pour aider les entreprises à évaluer et prévenir les risques de RPS ?
Ce thème a fait l’objet d’un Webinaire que j’ai animé récemment avec Marc Benoît, un formateur à l’INRS. Notre séminaire en ligne a été l’occasion de présenter l’un de nos deux outils méthodologiques dédiés aux RPS et qui ont été édités en 2013 : « l’outil RPS DU » destiné aux entreprises de plus de 50 salariés. Quant au second outil, « Faire le point », il s’adresse aux TPE. Leur trait commun, c’est de rendre l’entreprise autonome en lui fournissant des outils d’évaluation autoporteurs. Autre point commun, c’est d’être relativement exhaustif dans cette approche. Nous nous sommes appuyés sur les travaux du collège d’expertise présidé par M. Gollac qui a proposé de regrouper l’ensemble des facteurs à l’origine des RPS en 6 catégories***. Parmi lesquels, l’intensité et le temps de travail, le manque d’autonomie ou encore l’exigence émotionnelle liée par exemple au contact avec le public. Chacune de ces catégories est décomposée en sous-thèmes que le groupe de travail explore à l’aide d’une grille de questionnement. A charge pour les groupes ou unités de travail de s’en servir comme trame d’entretien. Ces échanges peuvent être animés par un ou deux animateurs, représentant par exemple les RH ou le CHSCT. Grâce à la grille de questionnement qui comporte 26 ou 41 questions selon l’outil, les membres du groupe peuvent voir où le risque est le plus important et prioriser leurs actions sur un tableau de synthèse prévu à cet effet. Ces outils sont téléchargeables. En 2015, nous avons recensé 40.000 téléchargements de la brochure « RPS DU ». Quant à l’outil « Faire le point » réalisé sous Excel, il a été téléchargé 20.000 fois en 2015.
Cette année, sous quelle forme prévoyez-vous de mobiliser vos efforts ?
Nous avons lancé en juin dernier une campagne de communication qui se déroulera jusqu’en mars prochain. Elle se matérialise par des prises de parole lors d’événements, de salons, par la création d’une infographie, par l’insertion des messages de la campagne dans l’ensemble des médias INRS, par une campagne de presse couplée d’une campagne digitale ciblée, etc. Nous prévoyons également de faire un troisième Webinaire en mars prochain plus spécifiquement centré sur l’outil « Faire le point ».
Propos recueilli par Eliane Kan
* Les 7 idées reçues : Un peu de stress, c’est motivant. Les risques psychosociaux, ce n’est pas si grave. Le stress, ça fait partie du métier. Le stress, c’est dans la tête. Les risques psychosociaux, ça ne concerne pas l’entreprise. Les risques psychosociaux, ne pas en parler évite les problèmes. Le stress au travail, c’est toujours la faute du chef.
** Les 9 conseils pour prévenir au quotidien les RPS : Evaluez la charge de travail. Donnez de l’autonomie aux salariés. Soutenez vos collaborateurs. Témoignez de la reconnaissance. Donnez du sens au travail. Agissez face aux agressions externes. Communiquez sur les changements. Facilitez la conciliation travail et vie privée. Bannissez toute forme de violence.
*** Les six facteurs de risque : Intensité et temps de travail ; exigences émotionnelles ; manque d’autonomie ; rapports sociaux au travail dégradés ; conflits de valeurs ; insécurité de la situation de travail.
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