Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Santé et qualité de vie au travail

La transformation du travail par l’IA placée sous surveillance

Capables d’automatiser des tâches pénibles, répétitives ou fastidieuses, les algorithmes d’intelligence artificielle peuvent aussi générer de la souffrance au travail. D’où la nécessité de mesurer l’impact de ces technologies digitales sur l’emploi et les conditions de travail avant qu’elles ne se développent massivement.

Selon l’Organisation de coopération et de développements économiques (OCDE), d’ici ces vingt prochaines années, 32 % des emplois seront impactés par l’IA. Il s’agit d’un ensemble de technologies digitales qui visent à reproduire les capacités cognitives de l’homme. Et ce, grâce à des algorithmes conçus pour aider les machines à percevoir, comprendre, apprendre et agir comme des êtres humains. Facteur de productivité et de créativité, l’IA fait évoluer les métiers en automatisant des tâches répétitives, pénibles, fastidieuses ou même dangereuses qui, jusqu’alors, ont été effectuées par un opérateur humain. De quoi améliorer les conditions de travail et fidéliser les salariés. La transformation du travail par l’IA touche déjà bon nombre de secteurs. Depuis l’assistance à la maintenance prédictive dans les usines à l’optimisation du diagnostic dans le médical, en passant par l’aide à la décision dans le secteur bancaire ou la gestion de la relation client par des Chatbot sur les sites d’e-commerce…

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Les plateformes de livraison utilisent des algorithmes qui organisent et prescrivent le travail. © Uber Eats

Programme de recherches avec Inria

Les algorithmes utilisés pour réaliser ces différentes tâches cognitives sont développés sur la base de normes et de règles préétablies selon un cahier des charges. Ce qui rend leur fonctionnement peu compréhensible. Ce phénomène de boîte noire pose des questions éthiques dans la mesure où l’IA modifie la manière de produire, recruter et manager, comme l’a souligné l’an dernier Elisabeth Borne, à l’époque ministre du Travail. Soucieuse de baliser ce sujet pour ne pas en découvrir les conséquences néfastes a posteriori, la représentante de l’Etat a lancé un programme de recherche baptisé LaborIA. En partenariat avec l’institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), celui-ci vise à mesurer l’impact de l’IA sur l’emploi et les conditions de travail. Ce programme sera mené sur cinq ans au sein de l’institut Matrice. Il s’agit d’un incubateur et d’un centre de formation dédié aux nouvelles technologies. Matrice prévoit de lancer ce mois-ci une enquête concernant l’impact de l’IA sur le travail auprès de 250 décideurs travaillant en entreprise dans différents services. L’institut conduira aussi des enquêtes de terrain afin d’appréhender les mécanismes en jeu dans le processus d’appropriation des systèmes d’IA par les salariés.

Travail piloté par des algorithmes

Ce programme de recherche est d’autant plus nécessaire que, depuis plusieurs années, les experts pointent du doigt les risques liés à l’IA. En cause notamment, l’intensification du travail, la surcharge mentale, la perte d’autonomie ou encore la difficulté pour les travailleurs de travailler avec ces technologies du fait d’un manque de formation et d’accompagnement. Autant de difficultés rencontrées notamment par les manutentionnaires d’entrepôt, les travailleurs du clic opérant pour des plateformes de micro-travail ou par les livreurs de services de livraison comme Uber Eats ou Deliveroo. Point commun, le travail est piloté et prescrit par des algorithmes qui « organisent le travail » et affectent les tâches.

Souffrance au travail

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Marc Malenfer responsable de la mission Veille et prospective à l’INRS. © DR

« Grâce aux algorithmes, ces plateformes se dispensent d’avoir des managers de proximité chargés de l’encadrement », soulève Marc Malenfer, responsable de la mission Veille et prospective à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Ce préventeur estime que l’IA peut avoir des effets délétères sur le travail car les systèmes sont paramétrés sur des critères et des données qui ne sont pas forcément exhaustifs ni conformes à la réalité des situations de travail. Avec des risques pour la santé mentale et physique des travailleurs. Par exemple, pour les livreurs rémunérés à la tâche, cela peut induire des Troubles musculosquelettiques (TMS), de l’épuisement, voire des accidents lorsque les temps de pauses sont insuffisants. En outre, l’écart entre le réel et le travail prescrit par l’algorithme, associé au système de notation peut générer des sanctions injustifiées. Le travailleur recevra alors moins de mission ou se verra même exclu de la plateforme. Cette menace permanente induit de la souffrance au travail.

Usages possibles de l’IA à des fins de sécurité au travail

Autant de risques à prendre en considération pour bénéficier des points positifs apportés par l’intelligence artificielle. Avant d’être implémentés, les systèmes doivent être discutés et mis en place en concertation avec les opérateurs concernés avec une finalité d’amélioration des conditions de travail. « Si le système est en décalage par rapport à l’activité et qu’il ne tient pas compte de la réalité du travail, cela ne fonctionnera pas », prévient Marc Malenfer. Lequel, par ailleurs, s’est penché avec un groupe d’experts sur les usages possibles de l’IA à des fins de sécurité au travail. Un sujet qui a fait l’objet d’une étude prospective de l’institut et qui sera présentée le 18 novembre prochain.

Eliane Kan

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