L'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (OQAI) révèle les résultats de deux études qui comparent les niveaux de qualité de l'air intérieur dans les bâtiments performants en énergie (BPE) et ceux de l'ensemble des bâtiments français. Globalement, les BPE affichent de bons résultats. Sauf s'ils connaissent des dégâts des eaux ou comportent trop de bois.
La mauvaise qualité de l’air intérieur (QAI) coûte cher : « 19 milliards d’euros par an en dépense de santé dans notre pays et 1,6 milliard pour les entreprises, selon une étude de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) publiée en 2014, lance Stéphanette Englaro, présidente de la start-up strasbourgeoise In’Air Solutions qui, créée en 2013, compte lancer dans quelques mois une mallette portative capable d’automatiser le prélèvement et l’analyse de la QAI. Il y a des centaines de polluants présents dans l’air intérieur. En fait, seuls ceux qui sont très présents sont étudiés. »
+ 600% d’asthmatiques dans le monde en 30 ans
A commencer par le formaldéhyde. Présent aussi bien dans les bureaux que dans les logements mais aussi dans les voitures et les transports en commun, celui-ci provient, entre autres, de l’ameublement, de certains matériaux de construction (parquets flottants, faux-plafonds en bois aggloméré…) ou de décoration (peintures, vernis, colles…). « Ce sont des sources fixes qui relarguent du formaldéhyde toute la journée, tous les jours, toute l’année pendant des années », reprend Stéphanette Englaro. A faibles concentrations, le formaldéhyde est un facilitateur d’allergies, par exemple aux pollens. Ce qui fragilise le système respiratoire. Inquiétant, car on voit de plus en plus de personnes allergiques et asthmatiques. A cet égard, le nombre d’asthmatiques a augmenté de 600% dans le monde en 30 ans pour atteindre 235 millions, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Une législation sur les produits mis en œuvre dans le bâtiment
Il faut savoir que le décret n°2011-321 du 23 mars 2011 relatif à »l’étiquetage des produits de construction ou de revêtement de mur ou de sol et des peintures et vernis sur leurs émissions de polluants volatils » est entré en vigueur en janvier 2012 pour les nouveaux produits et au 1er septembre 2013 pour les autres. Son objectif n’est pas d’interdire les matériaux toxiques dans le bâtiment mais juste d’informer les consommateurs. Ce qui oblige fabricants, importateurs et metteurs en œuvre de ces matériaux à « indiquer sur une étiquette, placée sur le produit ou son emballage, ses caractéristiques d’émission, une fois mis en œuvre, en substances volatiles polluantes, précise le décret. Il s’agit d’une autodéclaration. Le fabricant est responsable de l’exactitude des informations mentionnées sur l’étiquette, qu’il obtient par le moyen de son choix. » Conséquence : la prise de conscience qui en découle pousse les consommateurs, les prescripteurs, les architectes et les gestionnaires de parcs immobiliers ainsi que les chefs d’établissements, notamment ceux des entreprises de BTP, à privilégier les matériaux les plus sains. Mais aussi, dans les bâtiments existants, à mesurer les expositions, identifier les causes et trouver des parades.
Mobilisation scientifique pour deux études
Qu’ils soient neufs ou rénovés, les bâtiments performants en énergie (BPE) offrent-ils également une bonne qualité de l’air intérieur ? Telle est la question que s’est posée dans son étude l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI). Financé sur fonds publics provenant de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et de différents ministères, cet institut créé en 2001 dispose d’un réseau d’une quinzaine de scientifiques que coordonne et opère le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). « Nous avons d’abord voulu dresser un état des lieux des situations rencontrées et identifier les pistes d’amélioration pour la conception, la mise en œuvre et la gestion de ces bâtiments », explique Andrée Buchmann, présidente de l’OQAI qui a mis en place un protocole d’enquête standardisé de mesurage, collecte et transfert de données. Dans son dispositif, baptisé OQAI-BPE, l’institut gère et exploite également sa base de données nationale qui permet de dresser périodiquement un état de la situation sur la qualité des environnements intérieurs dans les bâtiments performants en énergie.
CO, CO2, COV, NaO2, aldéhydes, micro-particules, moisissures… un grand nombre de pollutions mesurées
Dans ce dispositif, deux campagnes d’enquête pendant la période de chauffe et hors chauffe ont été menées. « Les mesures collectées ont porté sur le CO2 [gaz carbonique, NDLR] en tant qu’indicateur de confinement et sur la ventilation (débits d’air et de pression aux bouches de ventilation), indique Charles Dajou, adjoint au sous-directeur de la qualité et du développement durable au ministère en charge du Logement. Ainsi que sur la pollution chimique avec la mesure du monoxyde de carbone (CO), du dioxyde d’azote (NaO2), du radon, de 16 composés organiques volatiles (COV), de 3 aldéhydes. Sont également analysées les micro-particules (PM 2,5) et des éléments biologiques comme les (moisissures). » De même les critères du confort d’ambiance (thermique avec la mesure de température et d’humidité relative de l’air, acoustique, visuel et olfactif), les caractéristiques du bâtiment, celles des occupants, de leurs usages et de leurs activités sont prises en compte.
130 bâtiments étudiés
Au niveau de la mise en œuvre, plus de 130 bâtiments ont été sélectionnés sur la base du volontariat, sans représentativité statistique de l’ensemble des bâtiments performants en énergie construits ou rénovés en France. A savoir 115 bâtiments démonstrateurs à usage d’habitation du programme Prebat, 9 à usage d’enseignement ou d’accueil de la petite enfance et 8 à usage de bureaux. Bien sûr les bâtiments neufs étaient tenus de respecter une consommation d’énergie primaire (cep) conforme à la RT 2012 (Réglementation thermique), c’est-à-dire 50 kWh/m2.an et de 80 kWh/m2.an pour les bâtiments rénovés.
Moins de pollution dans les BPE
Concernant les systèmes mécanique de ventilation, leur état et leurs niveaux de dysfonctionnement étaient comparables à ceux observés dans l’ensemble des logements et bureaux français. Par ailleurs, pour les VMC hygroréglables, la moitié des mesures des pressions aux bouches d’extraction est restée dans la plage préconisée par les fabricants (entre 70 et 160 Pa). De leur côté, les VMC autoréglables ont respecté les débits réglementaires réduits mais pas systématiquement les débits à atteindre. Notamment dans les WC. Sur le terrain des substances toxiques, l’étude OQAI-BPE ne révèle pas de différence majeure entre les BPE et l’ensemble de logements et bureaux français. A l’exception notable du benzène présent dans 37% des BPE contre 52% dans l’ensemble des bâtiments français, du formaldéhyde mesuré dans 8% des BPE contre 22% des autres constructions et du radon (aucun dépassement en BPE) où on l’a retrouvé dans 1% à 2% selon les pièces.
Un développement actif des moisissures plus important dans les BPE
Pour sa part, l’humidité de l’air se révèle équivalente, voire inférieure, à celle de l’ensemble des logements français. Cependant, la température de l’air dans les BPE est systématiquement supérieure à celle de l’ensemble des logements. Du coup, pas étonnant de voir qu’à peine 1% des BPE présentent des moisissures visibles contre 15% pour l’ensemble du bâti. En revanche, l’étude a observé un développement actif des moisissures dans 47% des BPE, supérieur de 10% à l’ensemble des immeubles français. Ces moisissures ont été constatées dans des zones non apparentes, derrière les meubles, les revêtements de surface et possiblement à l’intérieur des parois.
Les dégâts des eaux contribuent au développement fongique
Cette constatation a mis la puce à l’oreille de l’OQAI qui a conduit une seconde étude. Les scientifiques ont constaté qu’il n’y avait pas de contamination fongique (moisissures) dans les bâtiments qui n’avaient pas connu de problème d’humidité dans les 12 mois précédents, ni dans ceux qui sont isolés par l’extérieur ou ayant avec isolation mixte (intérieure et extérieure), ni dans ceux qui sont sous-occupés (plus de 20 m2 par personne), ni dans ceux où le chauffage était éteint lors de la mesure. Pas non plus là où la température ne dépassait pas 21°C. En revanche, l’indice de contamination fongique augmente dans les bâtiments qui ont connu un dégât des eaux dans les 12 mois, dans ceux qui sont dotés d’une isolation pour ossature bois ou d’une isolation répartie ou encore d’une isolation intérieure. Ainsi, que, bien sûr, dans les immeubles sur-occupés et dont le chauffage était en fonctionnement lors de la mesure ou dans ceux dont la température était comprise entre 19°C et 21°C.
Mise en évidence du bois somme source de pollution
La seconde étude a également constaté la présence de composés organiques volatiles (COV) comme Alpha-pinène, Limonène et Hexaldéhyde dans les logement BPE. Principale explication : « La présence de bois, notamment dans les ossatures bois, les isolants végétaux dans les combles, les revêtements de sol (parquets en bois ou bois reconstitué), souligne Mickaël Derbez, chef du projet OQAI-BPE au CSTB. Citons aussi l’introduction de meubles neufs au cours de la semaine de mesure ainsi qu’un usage et un stockage de produits d’entretien dans le logement. » Pour toutes ces nuisances, la parade est d’une simplicité déconcertante : il suffit d’augmenter le renouvellement de l’air dans les pièces !
Erick Haehnsen
Bientôt des des analyseurs d’air en temps réel
La start-up In’Air Solutions a développé une mallette portative qui embarque un préleveur d’air ainsi que deux analyseurs automatisés. Celle-ci s’appuie sur les recherches de Stéphane Le Calvé, responsable de l’équipe de physico-chimie de l’atmosphère au CNRS et du groupe de travail « Qualité de l’air intérieur » au conseil scientifique de Primequal 2 (Programme de recherche interorganisme pour une meilleure qualité de l’air à l’échelle locale). Face à la difficulté de discriminer et mesurer précisément toutes les substances toxiques contenues dans l’air intérieur, le chercheur a identifié, avec son groupe de travail, le formaldéhyde comme principal indicateur de la QAI. Restait à passer de l’instrumentation de laboratoire à une machine fiable et transportable.
Un kit complet pour fiabiliser la mesure in situ
Défi relevé par In’Air Solutions qui, assistée par la Société de transfert technologique (Satt) Conectus Alsace, a su automatiser et miniaturiser un préleveur (pompe, débitmètre, chronomètre…) qui fait circuler l’air dans des cartouches de piégeage. Ensuite, interviennent deux analyseurs automatisés : un pour le formaldéhyde et un autre qui discrimine 4 molécules hautement toxiques (benzène, toluène, éthylbenzène, xylène). « On peut multiplier les prélèvements et les mesures puis vérifier qu’elles sont à la fois bien effectuées et dûment enregistrées, précise Stéphanette Englaro, elle-même docteur en biologie qui a levé 1,2 million d’euros auprès de Cap Innov’est et Capital Est, après avoir été lauréate au concours national pour la création d’entreprises innovantes en 2012 et 2013. Nous allons lancer le préleveur et l’analyseur de formaldéhyde en juin et l’analyseur de benzène, toluène, éthylbenzène et xylène en septembre (BTEX). »
Deux campagnes de mesures sur le terrain
« Pour valider nos méthodes de mesure dynamique en continu, nous avons réalisé deux campagnes de mesure dans une école à La Rochelle (17) pour déterminer le meilleur protocole d’aération et à Maubeuge (59) pour régler au mieux la mise en route de la ventilation mécanique, tout en économisant de l’énergie, explique la présidente d’In’Air Solutions. Dans le premier cas, les mesures ont permis de mettre en évidence le besoin d’aérer plusieurs fois dans la journée sur de petites durées. Dans le second cas, nous avons pu déterminer qu’il suffisait de mettre en route la ventilation 30 minutes avant l’arrivée des élèves et l’éteindre durant la nuit. »
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