Jugés trop centralisateurs, les méga-projets la Smart City risquent de ne pas faire beaucoup d’émules en France. Avec la pandémie et la généralisation du passe sanitaire, les villes sont davantage tentées par la notion de ‘‘territoires intelligents’’ qui misent sur une approche progressive, itérative remettant l’humain au centre des projets.
Avec la crise sanitaire, le concept de ‘‘Smart & Safe City’’ va-t-il s’effacer devant celui de ‘‘Territoires intelligents’’ à la française ? En effet, la transformation digitale des communes, intercommunalités et autres métropoles soulève de vifs débats. Éclairage, eau, déchets, mobilité urbaine, stationnement, espaces verts, bâtiments publics, santé, sécurité… faut-il rationaliser la gestion des services publics sur la base de puissants hyperviseurs mutualisés ou bien conduire une transition digitale pas à pas au travers de petits projets dont l’impact est rapidement mesurable ?
Dijon et Angers : projets phares de la Smart & Safe City
Fort d’un investissement de 135 millions d’euros sur douze ans, le projet On-Dijon de la ville et de la métropole bourguignonnes, propulsé par François Rebsamen (maire de la ville et président de la métropole), illustre de façon emblématique la Smart City en France. Au cœur d’une toile de 140 km de fibre optique, un poste de commandement partagé avec les 23 communes du territoire centralise depuis 2019 les flux des 269 nouvelles caméras de vidéosurveillance, optimise la sécurité et la gestion énergétique de 180 bâtiments publics, accorde la priorité à 180 bus sur les 113 carrefours de la métropole… Qui plus est, depuis quelques semaines, tout témoin d’un accident de la circulation peut alerter OnDijon avec son smartphone les agents municipaux. Ces derniers géolocalisent les véhicules de secours les plus proches et coordonnent leur trajet en télépilotant les feux de circulation, l’abaissement des bornes escamotables et les panneaux d’affichage pour que les usagers de la route évitent la zone. Toujours sur l’appli, les citoyens peuvent gérer aussi leurs demandes administratives ou organiser leurs déplacements dans la métropole. Une approche qui a également séduit la communauté urbaine Angers Loire Métropole (29 communes) qui a lancé en 2019 son projet à 120 millions d’euros sur douze ans.
Émergence des ‘‘Territoires intelligents’’
Cependant, ces grands projets de Smart City pourraient rester l’exception. « Ce modèle est de plus en plus associée par les citoyens à la notion de ‘‘flicage’’, soulève Jacques-François Marchandise, délégué général de la Fédération de l’Internet nouvelle génération (FING). La Smart City recule car elle est synonyme de déshumanisation ou de surveillance. » D’autant que la généralisation du passe sanitaire dû à la pandémie suscite un réveil des revendications de liberté numérique. « À mesure que la digitalisation se développe, de nouveaux freins et de nouvelles résistances apparaissent », poursuit Jacques-François Marchandise.
D’où l’espoir du modèle de ‘‘Territoires intelligents’’ qui positionne davantage les villes sur la fabrique du lien et de la proximité au travers de projets incrémentaux plus modestes. « On implémente un premier cas d’usage. On l’évalue. On travaille sur l’accompagnement au changement des agents municipaux et leur appropriation du projet. On communique aux citoyens. On collecte les données en retour. On réfléchit pour ajuster le pilotage du service par la donnée, décortique Erwan Keryer, associé chez KPMG France en charge du secteur public. Projet après projet, cette logique itérative et progressive permettra, d’ici 3 à 10 ans, d’arriver à une certaine maturité en termes de territoires intelligents. »
Projets incrémentaux
Citons ainsi Clamart (Hauts-de-Seine) qui évite aux familles de produire les pièces justificatives pour le calcul du quotient familial en les récupérant via une API (interface programmable) dans les bases de la Direction générale des Finances publiques (DGFIP). Pour sa part, Strasbourg recourt au jumeau numérique, une représentation 3D du territoire utile aux agents de la collectivité, aux entreprises locales comme aux citoyens afin d’instaurer une ‘‘concertation augmentée’’ sur les prochains projets d’aménagements.
Des balises d’alerte dans les écoles
Autre projet incrémental à Saint-Raphaël (Var), alerter rapidement et discrètement le personnel des écoles au sujet de comportements violents des parents, de l’intrusion dans les écoles ou d’un attentat… Frédéric Masquelier, le maire, répond à cette problématique par le déploiement de balises individuelles d’alerte. Fonctionnant sur les réseaux GSM et GPRS, celles-ci sont connectées entre elles et à des dispositifs d’alerte. En cas de problème, il suffit au porteur d’appuyer discrètement sur un bouton pour prévenir ses collègues ainsi que les contacts préenregistrés. 140 personnes sont équipées de ces balises mobiles délivrées par le français Mykeeper dont l’offre intéresse la sécurisation des écoles dans le cadre du Plan particulier de mise en sécurité (PPMS.
Clés biométriques contre le vol de données
En prévention du piratage ou de vols de données, il est indispensable de changer régulièrement les mots de passe. Pour que cette démarche soit « User Friendly », la mairie de Josselin (2 500 habitants) située dans le Morbihan vient d’équiper sa vingtaine de collaborateurs avec une clé biométrique USB. Ce dispositif de contrôle d’accès conçu par le français Keopass intègre un lecteur d’empreintes digitales mais aussi un générateur automatique de mots de passe. « Il suffit de poser le doigt sur la clé pour verrouiller et déverrouiller l’ordinateur et les applications », indique Jack Noël, conseiller municipal de la ville qui phosphore sur un projet de dématérialisation des services afin de faciliter la vie des administrés et des agents municipaux.
Remettre l’humain au cœur de la digitalisation
À l’instar de la Smart City, le « ‘‘Territoire intelligent’’ vise à piloter par la donnée le service public local afin d’accroître leur efficience et d’entraîner le cercle vertueux du développement durable, analyse Philippe Gille, animateur à l’AITF, l’association des ingénieurs territoriaux. En outre, l’autre enjeu, c’est d’intéresser le citoyen à la chose publique. » En clair, la transition numérique des villes ne pourra s’effectuer sans la coopération des citoyens ni sans la montée en compétence des agents municipaux par la formation. « Il faut remettre l’humain au centre de tout projet de digitalisation, prévient Laurent Watrin, adjoint au maire de Nancy en charge du numérique. Si on installe une borne numérique, il faut un agent formé pour aider les personnes perdues face au numérique. » Bref, pas de territoire intelligent sans inclusion numérique des personnes les plus fragiles. Un n nouveau défi pour les industries de sécurité-sûreté.
Nancy
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