Les applications d’IA se multiplient tandis que des alliances industrielles, comme OSSA, définissent des standards d’interopérabilité. Intérêt : permettre aux éditeurs d’exploiter les données des IoT de différents constructeurs pour développer des apps d’IA. Objectif : ne transmettre que l'information pertinente aux agents de sécurité. Certains portails proposent près d’une centaine d’applis pour caméras.
Analyse comportementale, détection automatique d’anormalités, lecture automatique de plaques d’immatriculation, comptage de personnes, reconnaissance faciale et sonore, détection d’intrusion, du port de masque, d’abandon de colis… l’intelligence artificielle (IA) ne cesse d’étendre ses applications au domaine de la sécurité-sûreté. L’extraction de la donnée (Data Mining), analyse de la donnée massive (Big Data), apprentissage automatique (Machine Learning), apprentissage profond (Deep Learning), optimisation de code… les technologies qui sous-tendent l’intelligence artificielle s’embarquent à bord des caméras et autres capteurs. Objectif : décentraliser la puissance de calcul, analyser la menace le plus en amont possible afin de ne transmettre que les alertes pertinentes aux agents de sécurité. Le tout en réduisant les besoins en bande passante.
L’IA à bord d’une majorité de caméras en 2024
Fort de toutes ces qualités, le phénomène de l’IA en sécurité-sûreté promet d’être très largement pervasif. On comprend pourquoi les caméras d’Andro Video, Axis Communications, Avigilon, Bosch, BST Security, Dahua, Exacq Technologies (Tyco), Hanwha Techwin, HIKvision IndigoVision, Mobotix, Panasonic, Pelco, Topview et autres Vivotek deviennent des plateformes ouvertes aux algorithmes des PME et start-up de l’IA en sécurité-sûreté. Ce qui n’empêche pas les marques de développer leurs propres solutions d’IA. Selon une étude 2020 d’IHS Report rapportée par Panasonic, 46 % des caméras IP embarquaient l’année dernière un système d’analyse d’image. En revanche, seulement 5 % disposaient d’un processeur d’analyse d’image doté d’algorithmes de Deep Learning (apprentissage profond). Mais le cabinet d’étude annonce un changement de décor pour 2024 : 41 % des caméras IP devraient bénéficier de fonctionnalités d’IA avec une résolution 4K en natif. Pour quelle raison ? « L’intelligence artificielle déportée [dans les caméras et autres capteurs, NDLR] affranchit l’analyse d’image de la coûteuse centralisation des traitements », soulignait en mars dernier Emmanuel Berthelot, responsable commercial chez Panasonic Business Europe lors d’un atelier de l’Association nationale de la vidéoprotection (AN2V).
Une infrastructure Edge Computing pour disséminer les apps d’IA
Cette évolution de l’IA vers l’Edge Computing (traitement de données à la périphérie du réseau Internet et au plus près des besoins) devrait accélérer les développements notamment grâce à des initiatives comme OSSA (Open Security & Safety Alliance). Fondée en 2018, elle rassemble une quarantaine d’acteurs. Dont Bosch Building technologies, Dahua, Hanwha Techwin, Milestone, Pelco (Schneider Electric); Siemens et Vivotek. « Durant les dix dernières années, les fabricants d’équipements de sécurité et de gestion des bâtiments ont installé de nombreux IoT reliés à une infrastructure informatique. Ces IoT génèrent des montagnes de données. À présent, les clients veulent combiner les données de ces différents équipements, issus de différents fabricants au sein d’applications destinées à améliorer aussi bien la qualité des processus métiers que la sécurité et la sûreté, constate Gert van Iperen, président de la division Bosch Building Technologies. L’intérêt de cette alliance entre les fabricants et les développeurs d’applications, c’est de fournir un écosystème capable de changer la donne sur le marché de la sécurité et de la sûreté. »
En effet, l’initiative OSSA définit des normes et des spécifications pour des composants communs, véritables socles d’interopérabilité. À savoir S&ST OS, un système d’exploitation proche d’Android qui permet aux applications d’analyse vidéo de fonctionner en mode embarqué ; une infrastructure IoT (Internet des objets) ; des composants électroniques SoC (System on Chip) et un environnement standardisé de développement d’applications. De quoi susciter de nouveaux acteurs comme les portails qui distribuent les apps d’IA.
Des dizaines d’applications à télécharger
Parmi ces magasins d’applications, Azena concentre déjà plus de 85 applications d’IA dans les domaines de la sécurité-sûreté et la Smart & Safe City émanant d’une trentaine d’éditeurs. « Chacun peut choisir ses caméras et les associer à des applications avancées d’intelligence artificielle. On peut les installer comme des apps sur un smartphone », précise Arnaud Bastide, ingénieur de solutions chez le développeur d’applications de sécurité Roc4t.tech. Parmi les apps, notons Face Mask Detection de SenseTime International, AI Lpr, le système de lecture automatique des plaques d’immatriculation (LAPI) d’A.I. Tech Srl, le système de comptage de personnes en zones multiples Deep Crowd de DeepSolutions, le système d’analyse temps réel d’émotions FaceEmotionsPro de Tribe GmbH ou encore EmotionAnalysisDemo de Visa Technologies AB. Citons aussi le système de détection d’intrusion Saimos Intrusion Detection d’ONG-IT Gmbh ou Fire Smoke Detection de Noctuai Sp zo.o. ou encore le système temps réel Gun Detection Real App de DSR Corporation qui identifie qu’une personne porte une arme à la main. Une chose est sûre, ce genre de portail deviendra le système de distribution privilégié des algorithmes élaborés par les PME ou les startups.
Des oreilles intelligentes pour les caméras
Tous les acteurs ne sont pas encore sur des portails de téléchargement. Mais en matière d’IA, la start-up française Sensivic, créée en 2015, fait figure d’exception car elle donne des oreilles intelligentes aux caméras vidéo. Proposée aux municipalités et aux entreprises privées, sa gamme de détecteurs automatiques de bruits anormaux, Urban Soundscape, caractérise aussi bien les agressions verbales, les cris d’une foule en panique, les lames d’outils électroportatifs qui entaillent le bardage des entrepôts logistiques que les détonations d’armes à feu ou le froissement de tôles lors d’un accident de voitures… Originalité : ces systèmes n’embarquent pas de bases de données de sons pré-enregristrés. « De tels dictionnaires seraient trop encombrants, trop gourmands en ressources de calcul et en réseau. Du coup, nous avons élaboré des systèmes qui se débrouillent tout seuls de façon autonome », explique Jean Demartini, DG de Sensivic (dix salariés) qui opère à Orléans avec sa dizaine de salariés.
Une IA conforme au RGPD
Pour y parvenir, la start-up fait appel d’une part à l’apprentissage machine ‘‘non supervisé’’ pour détecter l’effet de surprise, c’est-à-dire ce qui nous fait nous retourner lorsque nous entendons un bruit bizarre. Et d’autre part à l’apprentissage machine ‘‘supervisé’’ à base de modèles de sons identifiés (coup de feu, explosions, bris de glace). Suite à un son anormal, les caméras PTZ se tournent automatiquement vers la source et envoient une notification au Centre de sécurité urbain, au télésurveilleur ou au PC de sécurité. Pour l’heure, la start-up qui, cherche à lever des fonds pour son développement international, a déjà installé plus de 1 000 capteurs. Aussi bien dans des municipalités comme Valbonne ou Cassis que dans des groupements bancaires (Crédit agricole, LCL) ou des stations services. Autre point fort de cette solution française : son apprentissage non supervisé, donc sans entrée en base de données, élimine toute possibilité d’identifier électroniquement une personne. De fait, le système sait reconnaître une émotion (agression) sans avoir besoin de comprendre des mots ou des phrases pour décider d’envoyer une notification. Résultat un avis technique, émis par un laboratoire indépendant, garantit que cette IA est conforme au RGPD. Moralité : IA et respect des données personnelles peuvent faire bon ménage.
Erick Haehnsen
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