Malgré l’hostilité de nombreux agriculteurs français, le gouvernement d’Édouard Philippe a annoncé ce lundi 25 septembre, via son porte-parole, Christophe Castaner, que le glyphosate, l’herbicide le plus répandu dans l’UE à base du Round-up de Monsanto, serait « interdit en France » d’ici 2022 pour tous les usages, y compris en agriculture. Paris a également décidé de s’opposer au renouvellement pour 10 ans encore par l’Union européenne de la licence européenne du glyphosate – qui expire fin 2017. Un bon tempo, sachant que les 5 et 6 octobre doit avoir lieu le vote sur ce fameux renouvellement. Certes, le pesticide le plus utilisé au monde est classé depuis mars 2015 « probablement cancérogène » par le Centre international de recherche contre le cancer (Circ), qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais pas par l’agence européenne de sécurité des aliments (Efsa). Ce qui, à l’initiative de Michèle Rivasi, a poussé les députés européens écologistes à saisir la Cour de justice de l’Union européenne en juin dernier. Notamment dans le but d’accéder aux études sur lesquelles l’Efsa a basé son avis pour juger que l’herbicide controversé glyphosate ne présenterait pas de risque cancérogène.
Procès en cours aux États-Unis
Outre-Atlantique, la situation s’envenime pour Monsanto. Plus de 250 actions en justice contre Monsanto ont été déposées au Tribunal d’instance de San Francisco (Californie) par des personnes accusant l’herbicide Roundup, à base de glyphosate. Ces personnes accusent l’herbicide d’avoir causé à eux ou à leurs proches un cancer (lymphome non hogdkien) et Monsanto d’avoir dissimulé les risques. Les affaires ont été regroupées dans une même action collective (MultiDistrict Litigation, MDL), sous l’instruction du juge Vince Chhabria – sous la référence de 3:16-md-02741-VC. De plus, près de 3.000 autres plaignants demandent aussi réparation devant d’autres tribunaux contre Monsanto. Le premier procès de l’action collective Roundup est prévu le 18 juin 2018, devant la Cour supérieure de San Francisco. Le 13 mars 2017, le juge Vince Chhabria a décidé, contre l’avis de Monsanto, que certains documents obtenus par des plaignants pouvaient être rendus publics. Ce qui a marqué le début de l’affaire des »Monsanto Papers ».
Monsanto Papers
En réalité, il ne s’agit pas de quelques pages confidentielles mais 10 millions de pages, documents de travail, rapports internes, minutes, compte-rendus, emails écrits entre salariés de Monsanto mais aussi échangés avec des employés d’organismes fédéraux. Ces documents on été récemment rendus publics par la justice américaine dans le cadre d’une action collective portée devant une cour fédérale de Californie par plusieurs centaines de travailleurs agricoles touchés par un lymphome. Parmi ces documents, 8,5 millions sont estampillés confidentiels par Monsanto et réservés à la consultation des seuls avocats habilités. Fait saillant, ces documents révèlent notamment que Monsanto a caché au public un rapport, commandé par la firme elle-même, qui soulignait les potentiels mutagènes du glyphosate. Dans l’un des mails, William F. Heydens, un dirigeant de Monsanto, explique à d’autres membres de l’entreprise vouloir lancer une recherche sur le glyphosate en s’attachant les services d’universitaires qui signeraient des documents écrits par Monsanto. M.Heydens cite un cas antérieur pour lequel l’entreprise avait recours au même subterfuge. Les Monsanto Papers révèlent également la stratégie de communication orchestrée par Monsanto pour discréditer l’avis du Circ sur le glyphosate, « probablement cancérigène ».
Action en justice contre l’Efsa pour obtenir l’accès aux documents
En mars 2016, les écologistes européens ont demandé à l’Efsa de publier les 75 études tenues secrètes et sur lesquelles elle s’est fondée pour estimer que le glyphosate n’était « probablement pas cancérogène ». Le 15 mars 2017, l’Efsa n’a finalement accepté qu’un accès partiel aux études. Or ces 75 études confidentielles, non publiées et fournies directement par Monsanto, sont aussi les études sur lesquelles l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) s’est basée pour rendre le même avis que l’Efsa. Le 1er juin 2017, les quatre eurodéputés écologistes Michèle Rivasi, Bart Staes, Heidi Hautala et Benedek Javór ont annoncé avoir saisi la Cour de justice de l’Union européenne sur la question de la non-divulgation par l’Efsa des études sur lesquelles elle s’est fondée pour conclure que le glyphosate n’était probablement pas cancérigène pour l’homme.
Espoir de faire jurisprudence
« Il y a plus d’un an, les conclusions opposées de l’Efsa et du Circ nous ont poussés à chercher les raisons de leurs divergences. Nous avons demandé à l’Efsa l’accès aux études dont elle s’est servie et qui sont tenues secrètes car fournies par les industries intéressées, explique Michèle Rivasi, biologiste et eurodéputée écologiste. Après une année de tractations intensives, l’agence européenne ne nous a fourni qu’un accès partiel à ces études, omettant des informations clés comme la méthodologie ou les conditions d’expérimentations. » Or, sans ces informations essentielles, « il est impossible pour des experts indépendants de vérifier la validité des conclusions », souligne le toxicologue Christopher Portier dans sa lettre adressée le dimanche 28 mai 2017 au président de la Commission européenne. « En conséquence, nous attaquons l’Efsa […]. Nous espérons que cette procédure aboutira, in fine, à une jurisprudence emblématique qui, à l’avenir, incitera les agences européennes à privilégier la transparence au secret commercial dès qu’il s’agira d’évaluer scientifiquement des substances potentiellement néfastes pour la santé et l’environnement », reprend Michèle Rivasi.
Une pétition signée par plus d’un million d’Européens
Toutefois, le combat contre le glyphosate et pour la transparence ne doit pas s’arrêter à ce procès, voué à durer plusieurs années. Les eurodéputés estiment qu’il faudrait modifier le règlement intérieur des agences européennes afin que que celles-ci n’utilisent plus que les études appartenant au domaine public, comme le fait le Circ. Alors que les Monsanto Papers nous interpellent sur la nécessité de mettre fin à l’immixtion des industries agrochimiques dans les politiques de santé publique, les citoyens européens peuvent dès à présent signer l’Initiative Citoyenne Européenne demandant l’interdiction du glyphosate en Europe [https://stopglyphosate.org/fr/]. A ce jour, 1.323.431 européens l’ont signé.
Erick Haehnsen
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