Certaines propositions prônent de renouveler le pacte de sécurité et de réaffirmer les missions des forces de l’ordre. D’autres préfigurent une loi pour la programmation de la sécurité intérieure. D’autres encore proposent de tripler le budget des missions de sécurité. Aucune mesure n’est proposée pour réduire la défiance entre la population et la police. Ni pour réduire les violences policières ou les délits au faciès.
Après plusieurs décalages depuis février 2020, le Livre blanc de la sécurité intérieure suscite la polémique. Sorti le 16 novembre dernier, c’est Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, qui le préface. Cependant, ce texte de 332 pages tient lieu de credo pour les forces de l’ordre. Mais aussi de feuille de route législative, voire de programme présidentiel post-2022. Les auteurs y font part de 200 propositions dont une partie se trouvait déjà dans la proposition de ‘‘loi Fauvergue-Thourot’’. À savoir la loi nº3452 relative à la sécurité globale, en discussion à l’Assemblée nationale depuis le mardi 17 novembre. Parmi ces propositions figure notamment la disposition controversée concernant la diffusion d’images de policiers ou de gendarmes.
Renouveler le pacte de protection et de sécurité
Le texte « postule que les forces de sécurité ne peuvent penser [..] leurs missions sans intégrer les citoyens. » Les auteurs veulent ainsi favoriser l’engagement citoyen aux côtés des forces de sécurité intérieure. Au menu : service national universel, une culture du risque pour accompagner la résilience de la population. Et former aux gestes de premier secours. Voire optimiser le recours au volontariat et aux réservistes.
Réaffirmer les missions des forces de sécurité intérieure
Le Livre blanc propulse la police de sécurité du quotidien comme le principe d’action de la sécurité publique. Notamment dans la lutte contre le trafic des stupéfiants, les violences aux personnes ainsi que les violences intrafamiliales et conjugales. Par ailleurs, les auteurs préconisent de placer le combat contre le terrorisme et la radicalisation sous l’égide de la DGSI. Cela passe en particulier par une coordination des services de renseignement. Le Livre blanc recommande d’appliquer cette méthode pour lutter contre les subversions violentes. Dans un autre registre, il plaide pour garantir la liberté de manifester. Tout en assurant la sécurité de tous et la protection des institutions. Un terrain devenu très glissant dans l’opinion publique. Comme le révèle le récent film Un pays qui se tient sage réalisé par David Dufresne…
Une éventuelle Lopsi
Certaines propositions préfigurent une Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (Lopsi). Dans le sillage de celles de 2002 et de 2011, ce serait la troisième du genre. Annoncée par Gérald Darmanin pour 2022, celle-ci devrait se retrouver en discussion à l’Assemblée nationale en pleine élection présidentielle. Ou, en cas de calendrier trop chargé, figurer dans les propositions de la campagne du candidat sortant. Lequel disposait, en 2017, d’un programme peu substantiel en matière de sécurité…
Tripler le budget des missions de sécurité
Outre la refonte de la politique de ressources humaines, la rénovation des bâtiments, des équipements, l’acquisition de moyens aériens, le financement d’un nouveau système d’alerte des populations, la manne ainsi dégagée servirait notamment à « porter le ministère à la frontière technologique ». Une formule absconse qui recouvre tout à la fois une mise à jour numérique de l’ensemble du ministère et des investissements dans des domaines comme la biométrie, la reconnaissance faciale ou l’intelligence artificielle.
Le continuum de sécurité revisité
Le Livre blanc reproche au ministère de l’Intérieur de ne pas d’avoir suffisamment traité la question du continuum. Il prône une évolution vers une structure plus intégrée qui serait un point d’entrée pour les partenaires. Elle « coordonnerait le travail intra-ministériel et formaliserait des doctrines et cadres d’emplois nationaux. Sans se substituer aux directions métiers sur le champ opérationnel. Ce qui, assurent les auteurs, « permettrait de rendre l’Intérieur proactif et lisible ». Reste que le Livre blanc réaffirme que le maire est et doit rester le pivot de la sécurité dans sa commune. Quant à l’échelon intercommunal, il voit confirmé son rôle de mutualisation des moyens et des polices). Enfin, les auteurs ouvrent la réflexion sur les pouvoirs de police à d’autres niveaux de collectivités. Comme les départements et les régions.
Développer les polices municipales
Face à leur développement, il convient d’accompagner la mise en place des polices municipales par des mesures claires. En discussion : leurs compétences, leurs moyens et leur contrôle externe. Les premières propositions visent à lever les obstacles juridiques qui entravent la création de polices municipales. Si elles doivent devenir des partenaires renforcés, alors des mesures sont à mettre en œuvre. Comme le statut d’officier municipal judiciaire. Ou le renforcement du pouvoir de substitution du préfet en cas d’inaction du maire. Ou encore la réaffirmation du contrôle des polices municipales par les inspections du ministère de l’Intérieur.
De nouvelles compétences pour la sécurité privée
Entreprises, services internes de sécurité… La sécurité privée un partenaire essentiel du continuum. « Cette évolution implique des opérateurs de sécurité privée irréprochables dans leur moralité et leur fonctionnement », estiment les auteurs. Les mesures proposées visent, entre autres, à limiter de la sous-traitance en cascade. Et à renforcer la garantie financière des entreprises. Le CNAPS doit s’adapter et se renforcer pour exercer une tutelle efficace. Le Livre blanc envisage de nouvelles compétences et des outils supplémentaires, notamment l’armement non-létal.
Répartition des zones sous police et sous gendarmerie
Plus structurelles, certaines réformes ne passeront pas par la voie législative. Ou feront l’objet de concertations supplémentaires. Notamment la nouvelle répartition des zones police-gendarmerie. À ce sujet, l’extension des espaces périurbains pousse les autorités à en reconsidérer l’attribution des prérogatives. Les villes de plus de 20 000 habitants pénalisées par une délinquance élevée échoiraient à la police.
Quant au reste, soit 96 % du territoire et la moitié de la population, il reviendrait à la gendarmerie. Certains départements entiers passeraient ainsi sous le contrôle exclusif d’une seule force. Reste que cette réflexion n’est pas près d’aboutir. Puisque les auteurs suggèrent de la confier à une mission menée par les trois inspections générales : Police nationale, gendarmerie et administration. Dans les annexes du rapport, les auteurs écartent l’idée de fusionner police et gendarmerie. Par souci de pragmatisme.
Déconcentrer et décloisonner la police
Sans passer par une loi, la police nationale devrait connaître une réforme en profondeur. Les auteurs évoquent une expérimentation locale qui devrait avoir lieu l’an prochain avant de s’étendre sur l’ensemble du territoire. Il s’agit de déconcentrer la police en nommant un directeur dans chaque département responsable localement de l’ensemble des troupes. Et de la décloisonner en organisant des filières de métiers. Comme la sécurité publique, l’ordre public, l’investigation, l’immigration, le renseignement… À cet égard, les auteurs rejoignent les vœux d’une majorité des organisations syndicales.
La réforme de la Préfecture de police de Paris écartée
Souvent considérée comme un État dans l’État, la Préfecture de police de Paris voit l’idée de sa réforme abordée. Mais pour être mieux évacuée… Les auteurs proposent de préciser les interactions entre la Préfecture de police de Paris et la direction générale de la police nationale. Sans, toutefois, vouloir affaiblir la Préfecture de police. Laquelle doit disposer de toutes les capacités nécessaires pour assurer l’ordre et la sécurité de la capitale et sa banlieue.
De grands vides subsistent
Autre thème évacué par le Livre blanc, la dégradation des relations police-population. Même si les auteurs pointent la défiance grandissante envers les forces de l’ordre. Laquelle se caractérise par l’augmentation des violences à l’encontre des personnes dépositaires de l’autorité. Sans en analyser les causes, les auteurs n’y voient qu’un manque de communication. Ils préconisent donc de reconsidérer la stratégie de communication de la police nationale. De même, le Livre blanc n’aborde pas du tout le sujet des violences policières. Ni celui des contrôles d’identité au faciès…
Erick Haehnsen
Commentez