Leur charge de travail a doublé en 10 ans. Résultat, un turnover élevé et une espérance de vie réduite. Soit 78,8 ans contre 85 ans en moyenne pour les femmes qui représentent 87% de la profession. Soumises à une pénibilité physique et psychique tout au long de leur carrière, 20% des infirmières arrivent à la retraite avec une invalidité.
En l’espace de dix ans, l’intensification des soins liés à la réduction de la durée moyenne de séjour et au développement des alternatives à l’hospitalisation double la charge de travail des infirmiers. « En effet, les patients qui restent à l’hôpital se voient décerner un maximum de soins en un minimum de temps », dénonce Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) CFE-CGC. Résultat, les infirmières qui représentent 87 % de la profession ainsi que leurs collègues masculins doivent courir d’un patient à l’autre et enchaîner les actes de soins, sans qu’ils puissent réellement prendre soins des patients. Ce qui leur donne le sentiment d’avoir mal fait leur travail. Cette insatisfaction débouche sur des démissions, un niveau important de turnover (entre 15 % et 20 % au sein de l’AP-HP) et d’absences. Pire encore, 30 % des nouveaux professionnels abandonnent la profession dans les cinq ans qui suivent l’obtention du diplôme.
Espérance de vie inférieure à la moyenne
Le manque de personnel et l’intensification des tâches ont un impact direct sur leur environnement de travail. Un cadre naturellement pathogène. En cause, le travail de nuit et le travail posté ainsi que les horaires décalés. A cette organisation du travail pathogène s’ajoutent les risques biologiques et chimiques ainsi que la pénibilité physique liée au port de charges lourdes, à la station debout prolongée ou encore à la prise en charge des patients alités. Résultat, 20 % des professionnels qui arrivent à la retraite sont en invalidité. Quant à leur espérance de vie, elle est de 78,8 ans pour les infirmières pensionnées contre 85 ans pour les femmes en moyenne. Or les solutions existent. Cela passerait notamment par l’acquisition de matériels pour limiter la pénibilité des tâches comme l’aide au levage des patients. Ou encore le port d’EPI pour limiter les maux de dos. Des équipements qui réclameraient l’augmentation du budget des hôpitaux. Néanmoins, ces établissements sont sommés de faire des économies. Rappelons qu’en 2018, le ministère de la Santé leur a réclamé 960 millions d’euros d’économie puis 663 millions pour 2019. « On parle d’un milliard d’euros d’économie pour 2020 », croit savoir Thierry Amouroux.
Outre l’organisation pathogène du travail, les risques biochimiques et la pénibilité physique s’ajoutent les violences subies au quotidien. Il faut savoir que le contact avec un malade agité constitue la 4ème cause d’arrêt de travail. Ces actes peuvent être commis par le patient lui-même ou son entourage, notamment lorsque l’attente paraît trop longue. Pour y remédier, les infirmières et leurs confrères réclament que les forces de l’ordre, la justice et les établissements de santé sécurisent leurs conditions de travail.
Le nombre d’agressions a doublé en quatre ans
Les agressions subies par ces professionnels en milieu hospitalier font d’ailleurs l’objet d’un rapport mené par l’Observatoire national des violences en santé (ONVS). En 2018, ce dernier estime à 10 835 le nombre de victimes à l’hôpital. Soit 8 569 femmes et 2 266 hommes. Soit près de 30 agressions par jour contre 15 en 2014. « Ces chiffres sont sous-estimés car ils correspondent à des déclarations effectuées par un tiers des directions d’établissements publics et 4 % des structures privées », estime Thierry Amouroux. Il existe par ailleurs des plate-formes d’écoute dont celle de l’association SPS (Soins aux professionnels en santé). Leur mission est d’écouter et d’aider le professionnel de santé en souffrance. Mais cette solution rencontre des limites. « En effet, les problèmes de souffrance au travail sont souvent liés à une organisation pathogène que les plateformes précédemment citées ne peuvent pas détecter car elles font un traitement au cas par cas », souligne Thierry Amouroux qui est également porte-parole de l’Observatoire de la souffrance au travail des professionnels infirmiers (Osat Infirmier). Lequel a été créé par l’ensemble des syndicats de la profession qui, toutes activités confondues, rassemble 660 611 infirmiers dont 433 202 personnels hospitaliers et 116 800 libéraux ou mixtes, selon la direction générale de l’offre de soins. Aux côtés du SNPI qui représente les salariés du public, du privé et des entreprise, se tiennent Convergence infirmière rassemblant les infirmiers libéraux et, côté Éducation nationale, le Syndicat national des infirmiers et infirmières éducateurs de santé (Snies) et le Syndicat national des infirmiers et conseillers de santé (Snics).
Créé le 12 mai dernier, l’Osat Infirmier se mobilise surtout sur les conflits éthiques, le harcèlement moral, la discrimination, le refus de l’administration de répondre aux règlements en vigueur ou encore les conflits interpersonnels. La victime est invitée à remplir un questionnaire en ligne afin de décrire sa souffrance, les causes et les conséquences qui y sont liées et le soutien dont elle bénéficie déjà. A la fin du questionnaire, la plateforme lui demande si elle veut uniquement déclarer sa souffrance ou être contactée par un de ses représentants syndicaux afin de discuter des démarches à suivre. Si la victime le souhaite, elle pourra être accompagnée sur son lieu de travail par l’Osat Infirmier afin de rencontrer par exemple le CHSCT. « Nos quatorze répondants sont des militants syndicalistes formés par Marie Pezé qui a créé la première consultation « Souffrance et Travail »», indique Thierry Amouroux. Depuis son ouverture le 12 mai dernier, la plateforme Osat Infirmier a pris en charge quelques centaines de personnes. Lorsque plusieurs victimes appartiennent au même établissement, la plateforme est susceptible d’appeler l’employeur afin de faire part d’un problème collectif et de contribuer ainsi à améliorer l’organisation interne.
Eliane Kan
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