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Santé et qualité de vie au travail

Christophe Labattut (Carrefour) : « TMS : il y a une cohérence à s’occuper à la fois de la santé au travail et des achats »

Directeur Santé au Travail France et directeur Achats Investissements et Maintenance France chez Carrefour, Christophe Labattut fera part de son expérience en matière de prévention des risques dans le cadre de l’Atelier des Préventeurs, le 6 juin à Paris. Il a créé une structure interne de cinq de formateurs qui, à leur tour, ont formé 300 préventeurs et 485 personnes désignées « compétence SST » en quatre ans.

Votre position est originale car, pour la France, vous êtes à la fois directeur Achats Investissements/Maintenance et directeur Santé au Travail. Pourquoi cette double fonction ?
Dès conception du cahier charges, je trouve opportun d’intégrer les règles d’ergonomie pour tous les nouveaux mobiliers : les rayonnages, les caisses-enregistreuses, les mobiliers de ventes, les mobiliers fruits et légumes… Nous avons trouvé un réel intérêt à faire le lien, pour l’ensemble de nos 115 000 collaborateurs, entre prévention des risques professionnels et achats pour nos 4 500 magasins en France. Pour l’entreprise, l’enjeu consiste aussi à réduire le nombre d’accidents du travail ainsi que le taux d’absentéisme. Ma position est peut-être originale mais elle a du sens.

Quel est le service que vous avez dirigé en premier ?
En juillet 2012, j’ai créé la direction Santé au Travail chez Carrefour. Mon équipe comporte un ingénieur, quatre responsables régionaux Hypermarchés, quatre responsables régionaux du format Carrefour Market, une personne dédiée à la proximité (Carrefour City), deux personnes responsables des entrepôts.

Comment en êtes-vous venu aux achats ?
En tant qu’ancien directeur d’hypermarché, j’avais une vision opérationnelle des contraintes et de l’équipement des magasins. En janvier 2017, lorsque la direction achat s’est libérée, on me l’a proposée. J’ai considéré que l’opportunité me permettait d’avoir une vision plus stratégique et que ce poste était complémentaire de l’approche Santé.

Qu’avez-vous mis en place ?
Nous sommes partis d’une page blanche. Je voulais créer une culture efficace de la prévention, développer une stratégie globale cohérente dans les actions de prévention. Dans un premier temps, je me suis rapproché de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) pour demander un accompagnement et faire monter en compétence les acteurs internes de la prévention chez Carrefour. Objectif : rendre l’entreprise autonome en matière de sécurité et santé au travail (SST). J’ai signé une convention de partenariat avec la Caisse régionale de l’assurance maladie d’Île-de-France (Cramif) en janvier 2013. Il fallait « industrialiser », massifier la démarche de prévention des risques auprès de l’ensemble de nos formats de magasin (hyper, super, proximité) et de nos activité de logistique. Le « cœur du réacteur » a été la convention de formation.

Sur quoi portait cette convention de formation et qui concernait-elle ?
Avec la Cramif, nous avons identifié toutes les personnes « ressources » potentielles en interne. En fonction de leur fiche de poste, nous avons créé trois niveaux de formations. Tout d’abord, celui des personnes désignées « compétence SST », c’est-à-dire ayant une vision large de tout ce qui touche à la prévention, des risques aux bonnes pratiques (gestes et postures). Il s’agit de cadres, de managers de sécurité, de managers RH… En près de quatre ans, 485 personnes désignées « compétence SST » ont donc suivi une formation de trois jours assortie d’une validation et d’une attestation délivrée à la fin. Le deuxième niveau est celui de préventeur. En plus de la formation de niveau 1, ces personnes ont suivi une formation très complète de quatre jours sur les troubles musculosquelettiques (TMS) et les risques psychosociaux (RPS). Nous avons ainsi formé 300 préventeurs ! C’est énorme et nous sommes l’une des rares entreprises à être structurée de cette façon en France. Enfin, le troisième niveau porte sur la formation interne. Nous avons créé une « académie » interne avec cinq préventeurs que la Cramif a formés et certifiés. Ce qui nous permet, à notre tour, de former et de délivrer les attestations de formation de façon autonome. Depuis deux ans, j’ai rendu obligatoire les formations de niveau 1 et 2 pour toutes les personnes identifiées chez Carrefour.

Comment mesurez-vous l’impact de cette action ?
C’est difficile ! Il y a le retour des collaborateurs concernant l’usage des mobiliers fruits et légumes qui ont été définis avec les équipes opérationnelles et des experts de la Cramif ainsi que nos directions Concept, Achats et Marchandises. L’idée était d’améliorer le confort d’utilisation de ces mobiliers. Résultat : on a réduit la hauteur et la profondeur des étagères pour qu’elles soient plus accessibles. A côté de cela, nos collaborateurs disposent de chariots à haute levée. D’ailleurs, nous avons créé un certain nombre d’outils spécifiques. Par exemple, nous avons été la première enseigne à mettre en place une table de mise en rayon à fond constant que nous faisons fabriquer par Safil. C’est-à-dire que le fond se lève au fur et à mesure qu’on décharge la table de ses cagettes afin de prévenir le mal de dos. Nos collaborateurs utilisent aussi une plateforme de travail sécurisée de chez Tubesca pour ranger les produits dans les étagères du haut, tout en diminuant la pénibilité. Celle-ci comporte deux marches, une chaînette de sécurité et une tablette sur le devant pour déposer les colis. Lorsque le collaborateur monte sur les marches, les pieds s’écrasent au sol et les roulettes sont stabilisées. Pour les caisses enregistreuses, nous avons aussi travaillé avec la Cramif et les fournisseurs. Nous avons également fait des tests avec les hôtes et hôtesses de caisse pour que les périphériques (écran, pin pad…) soient accessibles et avec la bonne inclinaison, afin d’éviter les rotations et torsions du tronc et des bras.

Avez-vous mis en place d’autres dispositifs ?
Oui, plein ! Nous avons demandé à tous les fournisseurs de produits mis en vente de coller plusieurs codes-barres sur leurs emballages. Cela aide à les hôtes et hôtesses de caisse à scanner le produit plus rapidement tout en réduisant le nombre de manutentions nécessaires pour trouver le code-barre. De même, nous avons disposé à proximité de chaque caisse un panneau demandant aux consommateurs de ne plus sortir du chariot-client les produits d’un poids supérieur à 8 kg. Soit il donne un code barre détachable à la caisse, soit l’hôte ou l’hôtesse de caisse se lève et va scanner le produit avec une douchette. Les caisses-enregistreuses sont le poste sur lequel la grande distribution a le plus avancé en termes de prévention des risques.

Quelle est votre dernière actualité ?
La mise en conformité des étagères en fonction de la recommandation R478 de la Cnam sur la mise en rayon. Laquelle impose de trouver des solutions pour le chargement en hauteur et sur le bas de l’étagère de nos produits de grande consommation (alimentaire, droguerie, parfumerie, hygiène) afin de réduire les TMS. Présentées le 25 novembre 2015 et applicables depuis janvier 2016, ces dispositions sont contrôlées surtout depuis ce début d’année. L’idée était d’éviter que le collaborateur ne soit obligé de s’allonger à plat ventre au sol pour aller placer des produits à 60 cm de profondeur et à 10 cm au sol. Nous avons donc placé des faux fonds pour bloquer à 40 cm de profondeur la prise de produits. Ensuite, pour le chargement du haut : nous avons interdit le stockage en casquette avec la prise de produit au-delà de 1,80 m. Et le merchandising (plan d’implantation des produits) a été retravaillé pour adapter le positionnement des produits en ce sens.

Qu’attendez-vous de l’Atelier des Préventeurs* ?
C’est une occasion exceptionnelle de partager ce retour d’expérience et de prendre à mon tour d’autres idées, d’autres bonnes pratiques dont je pourrai m’inspirer afin de les mettre en place chez Carrefour.

Propos recueillis par Erick Haehnsen

* L’Atelier des Préventeurs aura lieu le 6 juin à Paris.

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