Après les vagues de licenciements massifs, les entreprises cherchent à à nouveau à redorer leur blason pour attirer les talents. Pas facile après avoir considérer les salariés comme des Kleenex. Dans cette perspective, elles développent leur « marque employeur ». Une erreur, selon Francis Portogallo, expert en intelligence artificielle et ressources humaines, qui avance l’idée « d’image employeur ».
Comment est apparue la notion de marque employeur ?
Cette notion est apparue lors de la dépression de 1993 et des vagues de licenciements massifs qui donnèrent naissance à la génération d’employés Kleenex. La « marque employeur » veut calmer le cynisme des salariés en réponse à l’amnésie des entreprises qui se sont remises à embaucher. Avec les media sociaux, les employeurs ont dû faire leur « coming-out ». Dans ce contexte, développer la marque employeur va bien au-delà du périmètre des ressources humaines (RH). Ce concept rejoint la dimension de « l’inconscient collectif » de l’entreprise qui se rattache à sa gouvernance et à la qualité de vie au travail.
Mais, dans le brouhaha des réseaux sociaux, n’est-ce pas un vœu pieux ?
Si car les publics sont disparates et les attentes nombreuses. A la différence du schéma Produit/Consommateur, l’association Entreprise/Employé repose sur un paysage contraint – l’insécurité de l’emploi – et sur un rapport de force mal maîtrisé. Or une marque est un signe global unique, particulièrement bien défini et identifiable. Du coup, plaquer le concept marketing de marque aux RH est une gageure.
Que faudrait-il alors faire ?
Mieux vaudrait utiliser le concept d’image, composant partiel mais non moins essentiel de la marque. Une image est une représentation visuelle, voire mentale. Elle peut être naturelle ou artificielle, visuelle ou non, tangible ou conceptuelle. Elle peut entretenir un rapport de ressemblance directe avec son modèle ou, au contraire, y être liée par un rapport plus symbolique. C’est un signe spécifique qui impose au marketing de descendre du piédestal de la marque. L’enjeu, c’est alors de chercher le futur collaborateur sur les bases de l’image locale plutôt que de rester crispé sur le potentiel associé à la marque.
En d’autres termes, travailler sur l’image employeur consiste non pas à s’adresser à un public large mais au contraire à des individus ou des groupes ciblés…
Exact. Parallèlement au marketing, la DRH doit mettre l’intégration au groupe au centre de son analyse. Comment communiquer sur « les » images employeur ? Chacune d’elles visera à séduire un nouveau collaborateur et l’inciter à rejoindre la tribu, le conforter dans l’idée qu’il est partie prenante et que son action fait évoluer la collectivité. Ce qui va le convaincre de rester au sein de la tribu et parfois même à évangéliser. Bref, il est difficile, aujourd’hui, de ne pas se positionner sur ce terrain de la communication, tant l’impact des médias sociaux est puissant.
Faut-il développer des indicateurs spécifiques de la performance ?
Oui, il faut se poser les questions suivantes : quelles actions sont plus à même d’attirer un nouveau membre de la tribu ? Quelle organisation le conforte qu’il est totalement partie prenante ? Quelles sont les signes qui vont favoriser à ses yeux une offre plutôt qu’une autre ? Qu’est qui va le mettre en situation de renégocier ses attentes plutôt que de céder sans ambages aux sirènes de la concurrence ? Ces réponses ne se trouvent pas dans les techniques classiques du marketing mais dans de nouvelles approches qui vont éclore. Celles des techniques d’intelligence artificielle associées à l’analyse des comportements professionnels. Le travail sur l’image employeur consistera donc à se redéfinir en tribus et à mettre en place une organisation RH permettant d’identifier les comportements qui, au fil de l’eau, anticipent les situations pour marier les attentes des uns et celles de la tribu. En fait, on rejoue l’histoire qui nous a fait passer du primaire au social.
Propos recueillis par Erick Haehnsen
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