La France veut réduire de 25% les accidents du travail et stabiliser le nombre de maladies professionnelles. Pour parvenir à cet objectif, le ministère du Travail veut renforcer les contrôles dans les entreprises et sensibiliser davantage les chefs d'entreprise et les salariés.
Chefs d’entreprise, votre Document Unique est-il à jour ? La question est d’autant plus pressante que les pouvoirs publics vont renforcer les contrôles dans les entreprises. Objectif : vérifier que les mesures destinées à améliorer la sécurité des travailleurs ont bien été prises pour éviter les risques d’accidents du travail ou de maladies professionnelles. Ces dernières ont vu leur nombre encore augmenter de 43 832 en 2007 à 45 411 en 2008 (+3,6 %). En revanche, les accidents du travail ont légèrement diminué de 720 150 à 703 976 l’an dernier (-2,2 %). Leur indice de fréquence est également en baisse : soit 38 pour 1 000 contre 39,4 auparavant. Signe que les efforts menés en faveur de la prévention des risques commencent à porter leurs fruits. Notamment dans les grandes entreprises. En témoignent, par exemple, le chimiste Rhodia Electronics & Catalysis qui n’a déploré aucun accident du travail en l’espace d’un an. Alors que son processus de fabrication utilise des produits aussi dangereux que l’acide fluorhydrique. De son côté, Faceo, leader européen dans le Facilities Management, se félicite d’un taux de fréquence et de gravité inférieur aux standards de son secteur d’activité. Idem pour ses sous-traitants.
Faute de temps et de compétences en interne, les PME et TPE ont souvent encore des difficultés à appliquer leurs obligations légales en matière de prévention. Conformément à la directive européenne du 12 juin 1989, l’article L4121 du Code du Travail les oblige, rappelons-le, à évaluer les risques liés à la santé au travail et à adopter des actions correctives qui doivent être suivies au sein d’un document unique. Depuis le décret n°2008-1347 du 17 décembre 2008, l’employeur doit aussi tenir ce document à disposition des travailleurs et placer une affiche sur le lieu de travail pour indiquer où il est possible de le consulter. Ces contraintes peuvent se révéler rentables, comme le souligne Vincent Bel, directeur du cabinet Dekra Conseil HSE : « Lorsque le personnel travaille dans de bonnes conditions de sécurité, il travaille mieux et plus vite ». Ce qui génère des gains de productivité et des économies sachant que les arrêts de travail pour accident coûtent cher aux entreprises.
Plan Santé au travail
Pour encourager les PME et TPE dans leur démarche de prévention des risques, le ministère du Travail a mis en place le site www.travailler-mieux.gouv.fr. « Cet outil aide les entreprises à cartographier les risques inhérents à chaque situation de travail et à chaque secteur d’activité, d’une manière ludique et interactive », résume Hervé Lanouziere, conseiller technique à la sous-direction des Conditions de Travail.
D’autres outils devraient suivre car les PME de moins de 200 salariés sont clairement dans la ligne de mire du projet du deuxième Plan Santé au Travail (2010-2014). Un projet présenté le 15 janvier dernier par Xavier Darcos, le ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville. Lequel entend diminuer de 25 % les accidents du travail mais également se focaliser sur trois risques prioritaires : les TMS (Troubles musculosquelettiques), les produits cancérigènes et enfin les risques psychosociaux. Comme ces maladies professionnelles ne sont pas faciles à identifier, les entreprises gagneront à se faire aider par des tiers. D’autant que la circulaire du 18 avril 2002 de la direction des relations du travail recommande d’avoir une approche pluridisciplinaire des risques. L’étude devant reposer sur la coordination des connaissances d’ordre médical, technique et organisationnel. Tant lors de l’évaluation des risques que de l’élaboration du Plan d’actions de prévention.
« L’analyse de l’organisation et des conditions de travail du personnel peut être faite par des consultants, la médecine du travail, les Cram (Caisses régionales d’assurance maladie) ou alors par les Aract (Associations régionales pour l’amélioration des conditions de travail) », rappelle Pascale Merciéca, chargée de mission à l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail).
Bien sûr les cabinets de conseil spécialisés en maîtrise des risques sont des partenaires de choix. Le marché est d’ailleurs assez hétérogène avec de grands groupes comme Alma Consulting, l’Apave ou encore Dekra qui côtoient des spécialistes positionnés sur des niches. Choisir son prestataire n’est pas seulement affaire de prix et de proximité mais de compétences. Mieux vaut préférer un fournisseur ayant déjà réalisé des évaluations dans son propre secteur d’activité sachant que les dangers dans le BTP ne sont pas les mêmes que dans l’industrie. « Pour former une PMI de taille moyenne aux actions préventives et à l’actualisation du document unique, deux à trois jours suffisent », indique Daniel Paillart, conseiller de clientèle au sein du cabinet Capsecur conseil (filiale du groupe Randstad France).
Savoir évaluer les risques
Le recours à un intervenant extérieur sera l’occasion pour l’entreprise d’acquérir des connaissances et des méthodologies en prévention des risques. Pour Pascale Merciéca, l’évaluation doit prendre en compte les caractéristiques du salarié et l’ensemble des risques auxquels il est exposé : « Il faut avoir une lecture cumulée des risques car aucun salarié n’est exposé à un seul risque. Et la dimension cumulative peut avoir des effets délétères importants. » A titre d’exemple, Pascale Merciéca cite une des études de la Cram Ile-de-France qui montre que le bruit associé aux éthers de glycol peut détruire plus rapidement la cochlée.
A l’instar des TMS qui sont accusés d’engendrer une perte de 7,5 millions de journées de travail, le poids financier des risques psychosociaux ne cesse d’augmenter. Selon le BIT (Bureau international du travail), celui-ci oscillerait entre 1 % et 4 % du PIB. « Le ministre du travail Xavier Darcos a d’ailleurs sommé les entreprises de plus de 1 000 salariés d’évaluer ces risques », nous rappelle Emmanuel Charlot, directeur du développement et des partenariats de Psya, un cabinet spécialisé dans la prévention et la gestion des risques psychosociaux. Ce dernier a développé des outils et des pratiques pour aider les entreprises à reconnaître des risques de souffrance au travail. « Avec la crise économique, de plus en plus de demandes affluent depuis six mois », rapporte Jean-Marc Pignalosa, directeur national formation à l’Apave, un cabinet conseil et de formation. « Elles émanent non plus seulement de grandes entreprises mais aussi de structures de moins de cinquante personnes, tant dans le secteur tertiaire que dans la production industrielle. »
Outre les TMS et la souffrance au travail, le projet du second Plan Santé au Travail pointe aussi le doigt sur le travail en co-activité. « Le maître d’ouvrage doit faire intervenir un coordinateur SPS (Sécurité, protection et santé) qui gère les risques liés à la co-activité sur le chantier », rappelle Vincent Bel, le directeur de Dekra HSE. Faceo, leader européen du Facilities Management, a d’ailleurs placé la co-activité sous haute surveillance. « Pour réduire les risques qui peuvent en découler, nous dressons avec nos clients un plan de prévention annuel qui doit être partagé et remis à chacun de nos sous-traitants », détaille Jérôme Lussien, directeur Qualité Clients et QHSE (Qualité, hygiène, sécurité et environnement). Ce dernier intervient notamment sur différents sites d’Areva, le spécialiste de l’industrie nucléaire. Un client particulièrement exigeant. « Ils ont leurs propres procédures dont nous devons tenir compte tout en nous assurant qu’elles sont en cohérence avec nos outils et nos méthodes. Nous devons aussi être force de proposition en jouant un rôle de conseil sur notre périmètre », poursuit Jérôme Lussien qui suit de près les avancées de la démarche OHSAS 18001, une certification dans le domaine de la santé et sécurité au travail, entamée par l’entreprise sur une partie pilote de son activité, avant de la généraliser. « Cela va nous donner de la légitimité et constituer un élément différenciant vis à vis de nos clients. »
La formation a souvent un impact crucial
Dans le domaine de la santé au travail, former les chefs d’entreprises à la prévention peut avoir un impact crucial. Notamment dans la prévention des TMS. « En acquérant une véritable compréhension des problématiques, ils pourront arbitrer sur d’éventuelles améliorations techniques, matérielles, organisationnelles et sur leur financement », souligne Céline Uguen, ergonome consultante de la société AGP, du pôle social groupe LowendalMasai. L’exemple de Cristel, fabricant d’articles culinaires haut de gamme en inox à Fesches-Le-Châtel (25) est d’ailleurs éloquent. « Chaque nouvel équipement fait l’objet d’une étude croisée sur la productivité, la qualité et les conditions de travail des opérateurs », explique Emmanuel Brugger, son directeur général. Également en charge de la direction technique, il a suivi l’an dernier une formation de sensibilisation aux TMS. « Je sais désormais quelle est la bonne manière d’appréhender les TMS de sorte à limiter encore les risques pour les opérateurs. A cet égard, nous utilisons le logiciel ‘‘Cap TMS’’ proposé par la Cram. »
Hiérarchiser les risques
Une fois les risques recensés, reste à les hiérarchiser pour déterminer le plan d’actions correctives. Une des méthodes les plus employées consiste à prendre des critères tangibles comme le niveau d’exposition au risque, la fréquence et durée d’exposition, et le niveau de gravité. « Sans oublier la maitrise du risque qui sera appréciée au travers de l’organisation du travail et de la formation des salariés », résume Yannick Jarlaud, directeur d’Andéléa Consulting, département prévention d’Alma Consulting. Un groupe dont une des filiales, en l’occurrence IRH (Informatique et Ressources Humaines) édite le logiciel généraliste « Andeline ». Il s’agit d’un outil d’évaluation des risques professionnels et de suivi des actions et des mesures préventives. Le marché des logiciels est également occupé par des logiciels spécialisés. A l’instar de ‘‘Medtra’’ édité par l’Espace Informatique et dédié aux professionnels du secteur sanitaire et social. Ou encore ‘‘Maeva’’ lancé par l’OPPBTP (Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics). Le secteur de la chimie n’est pas en reste avec une quinzaine de logiciels recensés par l’INRS.
Planifier les actions correctives
Lorsque les risques sont ainsi évalués, il convient ensuite de planifier les actions correctives. « Il faut notamment se demander si cette action répond à un besoin réglementaire et quel doit être le délai de sa mise en œuvre. IL faut aussi de demander si cette action génèrera de nouveaux risques… », poursuit Yannick Jarlaud. Dès lors, les actions correctives doivent être planifiées puis consignées dans le Document unique qui est placé sous la responsabilité du chef d’entreprise. Céline Uguen rappelle que ce texte doit être mis à jour tous les ans.
« Notre responsable qualité actualise notre Document unique en se basant sur différents critères comme le réaménagement des postes de travail ou l’acquisition d’un nouveau moyen de production », témoigne, de son côté, François Salamone, PDG de Creatique Technologie (40 collaborateurs), fabricant de connecteurs industriels à Billy-Berclau dans le Pas-de-Calais. Certains de ses salariés ont bénéficié, à leur demande, d’une formation de secouriste. « Nous avons jugé que cela apportait des moyens supplémentaires à notre arsenal de prévention des risques. Au même titre que les formations aux risques électriques dont ont bénéficié certains de nos collaborateurs afin d’obtenir leur habilitation électrique. »
Suivre les actions dans le temps
Bien sûr, une fois les actions mises en œuvre, encore faut-il en assurer un suivi. Sur ce point, les grands groupes ont déployé des systèmes de certification de type Mase (Manuel d’amélioration sécurité des entreprises), un référentiel de management de la sécurité ou encore OHSAS 18001. Pour sa part, le groupe Rhodia dispose de son propre outil qui s’appuie sur un référentiel maison baptisé ‘‘Simser+’’. « Cette méthodologie concilie les exigences des normes environnementales ISO 14001 et celles d’OHSAS 18001 », indique Frédéric Carencotte le directeur général de la filiale Rhodia Electronics & Catalysis. Ce dernier gère dans un tableau de bord le suivi du système de management de la sécurité et de la politique d’amélioration continue. Laquelle est soutenue par des audits internes de chacun des bâtiments orchestrés chaque année par le directeur de l’usine et ses cadres formés. Régulièrement, le dirigeant organise des tournées d’inspection sur le site. L’an dernier, une campagne de sensibilisation sur le port des EPI (Equipement de protection individuelle) a été menée auprès de tous les salariés. « Nous voulions nous assurer qu’à tout endroit du site les salariés appliquaient bien la consigne sur le port de lunettes étanches », explique Gérard Bacles, le responsable HSE (Hygiène, sécurité, environnement) qui s’intéresse également à la sécurité des sous-traitants. Lesquels doivent se prévaloir d’une formation spécifique obtenue auprès de l’UIC (Union des industries chimiques) régionale pour travailler sur le site.
Déjà complexe, la prévention des risques dans les entreprises promet de l’être encore plus en prenant en compte la réglementation environnementale. « Ces deux aspects sont forcément liés car lorsqu’on modifie un outil ou un process dans une usine, on génère des risques inhabituels qui doivent être maîtrisés par le service sécurité », explique Vincent Bel, le directeur de Dekra Conseil HSE. Au delà des aspects techniques, les responsables sécurité vont se confronter à un dilemme juridique : le droit à l’environnement fait une obligation de moyens tandis qu’en matière de santé, le droit du travail impose à l’entreprise des obligations de résultat. C’est du moins la mise en garde du chercheur Eric Drais de l’INRS qui rappelle qu’en cas de problème relatif à la santé d’un salarié, le chef d’entreprise peut être poursuivi pénalement devant les Tribunaux.
Eduquer à détecter et évaluer les risques
Animateur QSE (Qualité, sécurité, environnement) dans l’entreprise de travaux publics Eurovia, filiale du groupe Vinci, Jérôme Iacobellis entend aussi responsabiliser les ouvriers sur leur propre protection. « Nous les éduquons à détecter et évaluer eux-mêmes les risques encourus sur les chantiers. De sorte à nous alerter sur d’éventuels dysfonctionnements », prévoit l’animateur opérant à l’agence Eurovia Alpes-Grenoble (240 collaborateurs). Chaque lundi, les chefs de chantier font durant un quart d’heure le point sur les risques et les moyens de prévention consignés dans un cahier spécifique appelé ‘‘Minute sécurité’’. Une réunion hebdomadaire à laquelle assistent également les locatiers et les intérimaires. « Cela nous permet de répondre à nos obligations d’accueil des nouveaux arrivants tout en les formant eux aussi aux risques du chantier », poursuit l’animateur d’Eurovia. Ces efforts paient. Entre 2004 et 2009, l’entreprise a divisé par sept son taux de fréquence des accidents du travail avec arrêt grâce à la mise en œuvre de méthodologies et de certifications comme Mase décrochée en décembre 2006. Mais aussi OHSAS 18001 obtenue en mai 2008.
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