Chaque jour, ce secteur déplore plusieurs centaines d'accidents liés à la manipulation de produits chimiques, de charges lourdes, d'outils contondants, ou encore d'engins mécaniques qui, dans 20 % des cas sont mortels pour l'utilisateur.
Selon l’assureur Groupama, 100 000 accidents du travail se produisent chaque année dans les exploitations agricoles. Principales sources d’exposition, la manipulation de charges lourdes, le bruit, les agents biologiques, l’utilisation d’outils à mains et des produits chimiques. Lesquels constituent un danger pour la santé des agriculteurs et des consommateurs. Un fléau que les pouvoirs publics veulent réduire. A compter de 2014, tous les agriculteurs seront d’ailleurs tenus de détenir le Certiphyto, un diplôme obligatoire pour pratiquer l’épandage de produits phytopharmaceutiques sur leurs cultures. L’occasion pour les agriculteurs de s’interroger sur la dangerosité de ces produits.
« Herbicides, fongicides, insecticides… Tous les agriculteurs savent que ces produits sont dangereux », énumère Julien Marré, cultivateur de céréales sur une exploitation de 75 ha et membre du Bureau national des jeunes agriculteurs (JA). Pris dans leur sens étymologique, les produits phytosanitaires soignent les plantes. Mais à un prix très important pour la santé humaine. La Mutualité sociale agricole (MSA) ne cesse de le répéter : ils sont à la base d’un certain nombre de troubles ORL, ophtalmologiques ou respiratoires. Mais aussi de lésions de la peau, de troubles digestifs et de troubles neurologiques (maux de tête, nausées, irritations). En outre, ils peuvent être sources de cancers, de troubles génétiques, voire même d’une altération des fonctions de reproduction. L’association militante April assure même que l’exposition aux pesticides développe, en particulier, des états de démence et accélère fortement l’apparition de la maladie d’Alzheimer.
Attention aux étiquettes
Il est donc indispensable de prendre les bonnes mesures. Par exemple, pour éviter les accidents, chaque agriculteur doit lire attentivement l’étiquette de ses produits.
« Pour les phytosanitaires toxiques, la mention T doit être sur l’étiquette », prévient Boris Lorne, spécialiste des risques liés à l’usage des phytosanitaires et conseiller de la Chambre d’agriculture du Loiret. « Pour les plus toxiques, on utilise la mention T+. » En outre des phrases de risques sont également intégrées dans l’étiquetage en fonction du type de risque rencontré. « Ce sont des codes qui indiquent la toxicité du produit pour l’organisme », souligne Julien Marré. Exemple : R40, signifie « risque cancérogène suspecté ». « Parce qu’il n’y a pas de preuves formelles », reprend Boris Lorne.
Pour se protéger, les agriculteurs ont à leur disposition des équipements de protection individuels (EPI) de type masque ou lunettes, gants et combinaison. Des protections qui font parfois défaut. « Certains préfèrent ne pas porter leurs »combinaison d’astronaute » pendant la pulvérisation, de peur d’effrayer les consommateurs passant sur les routes voisines… et de donner une mauvaise image des produits agricoles », remarque Jack Bernon, responsable du département Santé et Travail de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). L’absence de gants est aussi pointée du doigt par la MSA, qui a mis en place un numéro d’information d’urgence, Phyt’attitude. L’étude des conversations révèle que 62 % des appelants ont été contaminés par des produits phytosanitaires, faute de gants. « Ce n’est pas étonnant, car l’utilisation de ces équipements est très contraignante », explique Julien Marré. « Par exemple, en plein soleil, si on cherche à se protéger intégralement, on meurt de chaud ! » Un problème pratique qui masque l’enjeu réel de la protection. « Ces produits contaminent tout ! » s’exclame Boris Lorne. Par exemple, lorsqu’un agriculteur répond au téléphone alors qu’il est en train de manipuler des phytosanitaires, son mobile sera contaminé, à son insu.
Des accidents mortels en baisse
La MSA a publié des statistiques sur les accidents de travail pour la période 2006-2009. Les accidents mortels sont en baisse chez les salariés agricoles.
Le nombre de décès en 2009, dernier chiffre disponible, s’élève à 88 avec une fréquence de 0,05 accident pour mille heures travaillées. Cette diminution est
le fruit des politiques de prévention mises en place en milieu agricole. L’étude montre toutefois que les exploitations de culture et d’élevage restent les plus touchées avec 44 % des accidents mortels.
Limiter l’usage des phytosanitaires
Pour limiter les risques, les pouvoirs publics recommandent d’éviter au maximum l’utilisation de ces produits. A la suite du Grenelle de l’environnement, le ministère de l’Agriculture a proposé un plan, Ecophyto2018, visant à réduire de 50 % l’utilisation des pesticides à l’horizon de dix ans. Cela demande un changement de pratique important de la part des agriculteurs.
« Au lieu de faire de l’agriculture intensive, qui consiste à traiter dès l’apparition des parasites, beaucoup d’agriculteurs se mettent à l’agriculture raisonnée et ne commencent à traiter que lorsque 10 % de l’exploitation est touchée », indique Boris Lorne.
Pour minimiser l’usage de ces produits, il faut commencer par rationaliser, donc isoler précisément les situations à risques et dans lesquelles le cultivateur est le plus exposé. A commencer par la préparation de la bouillie, jargon qui désigne la phase de mélange des produits phytosanitaires, et sa diffusion dans le champ par pulvérisation.
« L’essentiel pendant la bouillie, c’est de porter des gants et un masque intégral, qui protège les yeux et les voies respiratoires », souligne Boris Lorne. « Et d’utiliser toujours le même tonneau, entreposé dans un local spécifique et couvert. » Par ailleurs, il est indispensable de bien respecter les dosages et d’appliquer une procédure rigoureuse à l’opération, à la fois pour éviter les risques directs sur la santé, mais aussi les effets indirects sur l’environnement. « Par exemple, il faut lutter contre les déperditions superflues dans la nature, car les produits contaminent ensuite les réseaux d’eau », soulève Gilles Maréchal, directeur du Farre, un forum destiné à promouvoir l’agriculture raisonnée. « Par exemple, lorsque les produits sont versés dans le tonneau, il n’est pas rare d’en mettre à coté… » Pour éviter les débordements, les agriculteurs peuvent utiliser un système de récupération, qui se présente sous la forme d’un bac étanche, en béton, installé sous le lieu de préparation de la bouillie.
Maîtriser les pulvérisations
Ensuite, lors de la pulvérisation, les agriculteurs doivent prêter attention à l’étanchéité de la cabine qui surplombe leur engin. Notamment en évitant d’ouvrir la fenêtre et en s’assurant que le système de ventilation est coupé. « Mais parfois il fait si chaud qu’il est impensable de laisser la fenêtre fermée », remarque Julien Marré. « Une solution consiste à faire attention au sens du vent. Moi, je ne pulvérise que lorsque le vent est de travers. »
Autre cas de figure, lors de la pulvérisation de nuit, il est nécessaire de s’équiper d’éclairages, pour visualiser le produit qui se répand. En prime, cela permet de détecter certains problèmes.
« L’éclairage s’installe sur la rampe », précise Boris Lorne. « Bien positionné, il permet de voir, par exemple, lorsque des jets sont bouchés. » Dès lors, pour tout intervention humaine nécessaire sur le pulvérisateur, l’agriculteur doit impérativement porter une paire de gants. En outre, à la fin de la pulvérisation, il faut prendre le temps de rincer les buses, au-dessus du champ pour éviter de ramener des gouttes de produit dans les locaux de l’exploitation. « Et penser à faire de même avec les fonds de tonneaux », ajoute Gilles Maréchal.
Le Certiphyto, le diplôme obligatoire des agriculteurs
A compter de 2014, le Certyphyto sera obligatoire pour répandre des produits phytopharmaceutiques. Valable dix ans, il s’obtient au terme de deux jours de formations, soit deux fois six heures avec une heure et demi de pause à chaque fois. Ces formations sont effectuées par des organismes agréés dont les chambres d’agriculture et comprennent quatre modules : les effets des phytosanitaires sur la santé, sur l’environnement, les réglementations en la matière et le matériel dans lequel investir.
Accidents mécaniques
Aux risques phytosanitaires s’ajoutent les dangers liés à l’utilisation de machines agricoles. « 20 % des accidents professionnels sont dus à des machines », précise Dominique Bouvier, responsable du service Entreprises et Installation du réseau des Chambres d’agriculture de France (Apca). « Parmi les accidents mécaniques, 20 % se soldent par un décès. » Le secteur déplore également les cas dramatiques de membres broyés. Souvent incriminés, l’écharpe ou le vêtement trop ample qui en s’accrochant aux rouages entraîne le corps de l’agriculteur. Mieux vaut aussi éviter, comme c’est souvent le cas, d’utiliser le pied pour débourrer la machine et lui préférer un outil adapté.
En outre, il faut vérifier et changer régulièrement les protections intégrées dans les machines. On appelle « Carters » les caches en plastique chargés de rendre invisibles les éléments mécaniques les plus dangereux. Leur rôle est d’éviter que l’utilisateur glisse par mégarde sa main dans les rouages. Le problème, c’est la durée de vie de ces composants. « Il est impératif de les remplacer régulièrement », prévient Sylvain Deseau, spécialiste des risques liés à l’utilisation des machines et conseiller de la Chambre d’agriculture du Loiret.
« Parfois, c’est très difficile. Dans certains cas, notamment chez les forestiers, les Carters sont rendus obsolètes en une seule journée. » Avec un impact en terme de coût que tous les agriculteurs ne sont pas prêts à payer. « Pire encore, ces protections gênent l’employé au moment de nettoyer ses équipements, précise Sylvain Deseau. Du coup, certains les désinstallent, pour ne pas avoir à les retirer à chaque fois. » Or, sans protection, l’erreur ne pardonne pas.
Danger d’électrocution
Autre grave danger qui menace les utilisateurs de machines agricoles : l’électrocution. En cause, la taille des véhicules utilisés. « Goulotte dépliée, une moissonneuse-batteuse peut s’élever jusqu’à 5,80 m de haut », indique Sylvain Deseau. « Or, des fils électriques passent souvent à 6 m du sol, au-dessus des champs. Des arcs électriques se créent en dessous, même si le véhicule ne touche pas les fils », poursuit le spécialiste. Ce type de danger concerne aussi les employés à pied. Par exemple, lorsqu’ils déplacent à la verticale des tuyaux d’irrigation de plus de 6 m de haut. « Ces équipements en aluminium sont à la fois conducteurs de courant et très légers », explique Sylvain Deseau. « Il suffit d’un petit coup de vent pour que le tuyau se relève un peu plus haut que prévu… » Et touche les fils électriques, provoquant l’accident mortel pour le salarié au sol.
Renversement de tracteurs
Une autre cause d’accident encore trop répandue concerne le renversement de tracteur, qui a fait l’objet, il y a un an, d’une campagne de prévention menée par la MSA. Le retournement d’engin est souvent la somme d’un concours de circonstances : une pente trop importante, doublée (ou non) d’une parcelle humide et glissante. Les conducteurs de tracteurs sans cabine sont les plus vulnérables, car si le véhicule se retourne ils peuvent alors se retrouver coincés dessous. Avec à la clé : des écrasements de cervicales, des traumatismes crâniens et, bien souvent au bout du compte, la mort pure et simple. Pour s’en prémunir, les agriculteurs sont tenus d’installer, depuis janvier 2010, un arceau de sécurité sur leurs engins sans cabine.
Outre les risques mécaniques, les agriculteurs sont également exposés à de nombreuses maladies professionnelles. Selon Groupama, un travailleur sur trois travaille avec un bruit supérieur à 85 décibels, un sur quatre est exposé à des agents biologiques, un sur cinq utilise des outils à main qui produisent des vibrations. Les TMS sont évidemment mis à l’index avec leur cohorte de lombalgies, maux de dos, hernies, etc. « Les TMS représentent 80 % des maladies professionnelles existantes », souligne Dominique Bouvier. « La source la plus importante de ces maux est la vibration des véhicules agricoles pendant la conduite. » Une problématique qui a fait l’objet d’une récente campagne visant à inciter les agriculteurs à changer la sellerie de leurs véhicules. « Tous les nouveaux tracteurs sont aujourd’hui équipés de sièges à amortisseurs pneumatiques », indique Julien Marré. Attention toutefois : un tracteur possède une durée de vie allant de dix à quinze ans, tandis qu’un siège n’en a que pour cinq ou sept ans maximum. Il faut donc penser à les changer régulièrement.
© Guillaume Ferron/Agence TCA
Un taux de suicide élevé chez les agriculteurs
En France, le taux de mortalité par suicide chez les exploitants agricoles excède celui des cadres.
Autre famille de risques qui menacent les agriculteurs : les risques psychosociaux. « Ce sont les exploitants agricoles, et non leurs salariés, qui sont le plus fortement touchée par le phénomènes des suicides », indique Jack Bernon, responsable du département Santé Travail à l’Anact. La Revue d’épidémiologie et de santé publique (Resp) a publié une étude sur le sujet, montrant que le taux de mortalité par suicide chez les agriculteurs excède celui des cadres. « En ce qui concerne les hommes, nous avons mis en évidence que le taux de mortalité chez les exploitants agricoles est trois fois plus élevé que chez les cadres », précise Christine Cohidon, médecin épidémiologique à l’Institut de veille sanitaire (INVS) et auteur de cette étude. « Pour les femmes, ce taux est deux fois plus élevé. » Il s’agit néanmoins d’estimations. De l’aveu des experts, les données recueillis au travers des actes de décès, même croisées avec celles de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), ne suffisent pas à donner des chiffres précis pour analyser ce phénomène. Un paradoxe que devrait venir corriger une prochaine étude sur le sujet.
Le phénomène n’est pas spécifiquement français. « Il est mondial », assure Christophe David, médecin du travail en charge des risques psychosociaux à la MSA. « Il a notamment été révélé en Nouvelle Zélande et au Québec, deux pays dont les niveaux de développement sont comparables au nôtre. » En outre, dans la population générale, être un homme d’une cinquantaine d’années vivant seul prédispose au suicide. « Or, beaucoup d’agriculteurs sont dans ce cas, car ils ont subi de plein fouet l’exode rural », remarque Christophe David. « Ils restent seuls sur l’exploitation car bien souvent les femmes doivent travailler en ville pour compenser le déficit de l’exploitation. » Pour l’instant les médecins en restent à des hypothèses. « La raison peut être économique », explique Christophe David. « L’agriculture impose un rythme de travail soutenu pour une rentabilité faible, et tout cela se double d’un fort taux d’endettement qui les empêche de faire fructifier leur entreprise. » En revanche, dans son étude, Christine Cohidon évoque une hypothèse qui fait polémique parmi les experts, liant l’exposition aux pesticides à l’apparition d’un état de dépression, préalable au suicide…
Devant tant d’incertitudes, la réponse à donner est délicate. C’est pourquoi, fin mars, l’État a-t-il demandé à la MSA de travailler, en partenariat avec l’INVS, à améliorer la connaissance sur ces suicides. C’est-à-dire : identifier les zones à risques, par des taux de fréquence. En outre le Ministère a aussi demandé à ce que soit développé, d’une part des cellules de prévention du suicide, d’autre part des cellules d’écoute d’urgence.
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