Malgré un arsenal européen de règles visant à limiter l’impact des produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques sur les travailleurs, le risque CMR recule difficilement. Il faut donc rester vigilant, analyser les risques et prendre les mesures qui s'imposent. A savoir, une substitution partielle ou totale des substances problématiques et l'installation de protections collectives.
Selon l’enquête Sumer 2002-2003 (Surveillance médicale des risques professionnels), plus de 2 350 000 salariés (près de 13,5 % de la population active) s’estiment exposés à des substances CMR. A savoir, des agents chimiques de type cancérogènes (qui provoquent des cancers ou augmentent leur fréquence), mutagène (coupables d’altérations héréditaires sur le génome) et/ou reprotoxiques (menaçant la fertilité en portant atteinte aux capacités reproductives ou, plus indirectement, en multipliant les problèmes de santé chez les nouveau-nés).
A titre d’exemple, rappelons que, selon l’Institut de veille sanitaire (INVS), le cancer frappe plus de 10 000 professionnels par an…
De nombreux secteurs sont concernés : l’agriculture, la métallurgie, l’industrie du verre, les industries chimiques et pharmaceutiques, celles du cuir, du caoutchouc du bois ou du pétrole mais également les sociétés de maintenance, de nettoyage et les laboratoires de recherche. A chaque fois, l’agent CMR pénètre le corps humain par inhalation, ingestion ou pénétration cutanée. En outre, la menace peut-être fortement aggravée par la présence d’un second agent chimique, occasionnant une réaction chimique nommée « potentialisation ». La loi impose donc aux employeurs d’établir une fiche d’exposition aux agents CMR pour chacun des salariés potentiellement exposés. Laquelle doit notamment révéler la durée et l’importance des expositions.
Risque chimique
« Les produits chimiques incriminés sont nombreux », souligne Michèle Guimon, ingénieur chimiste au département Expertise et conseil technique de l’INRS. Par exemple le plomb, le béryllium, le cadmium ou encore le chrome. En outre, ces agents chimiques entrent bien souvent dans le cadre de pratiques industrielles incontournables comme les travaux exposant aux poussières ou brouillards produits lors du grillage des mattes de nickel (composés métalliques contenant en moyenne 75 % de nickel et 20 % de soufre). Autre activité à risques : les travaux impliquant des hydrocarbures aromatiques polycycliques, un type d’agents hautement cancérogènes qui proviennent de la combustion incomplète de matières organiques telles que les carburants, le bois ou le tabac. Ils se fixent dans la suie, le goudron et certaines poussières. Sont également dangereux, les procédés de fabrication d’alcool isopropylique (un solvant) ou d’auramine, un colorant utilisé aujourd’hui par certains laboratoire dans les préparations et longtemps employé pour teindre du papier, du cuir ou des textiles… En pratique, est considérée comme agent CMR toute substance ou toute préparation étiquetée R40, R45, R46, R49, R60, R61, R62, R63 ou R68 et comprenant soit le symbole tête de mort, soit une croix noire caractéristique. Reste qu’une substance n’a pas besoin d’être chimique pour être un CMR… à l’instar des poussières bois.
Substitution
« Méthodologiquement, la première chose pour s’en protéger consiste à repérer et établir l’inventaire des substances problématiques », détaille Michèle Guimon. En ce sens, l’INRS met un inventaire sur son site Web à disposition des industriels. Pour protéger les utilisateurs, la réglementation impose de « substituer », une par une, les substances classées catégorie 1 et catégorie 2 par l’Union européenne. En tout, trois catégories existent.
Dans la catégorie 1, se trouvent des substances qui présentent un risque CMR avéré. Dans la catégorie 2, sont regroupées des substances qui présentent « probablement » un risque. La catégorie 3 englobe des substances dont les scientifiques pensent qu’elles jouent « peut-être » un rôle dans l’apparition de maladies sans parvenir toutefois à en apporter la preuve démontrée. En pratique, la mesure du risque lié à l’exposition d’un salarié aux substances CMR, s’estime en combinant la durée, la fréquence et la concentration de l’agent chimique en présence avec le niveau de danger du produit. Pour aider les industriels à s’y retrouver, la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles (CATMP) et la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) ont mis en place un système de traçabilité des expositions professionnelles. A savoir, une plate-forme Internet accessible à l’adresse www.step-cmr.fr qui met les professionnels en relation afin qu’ils échangent à la fois leurs expérience de la substitution de produits ainsi que des conseils.
Substance autorisée jusqu’à preuve du contraire…
La classification d’un produit dans l’une ou l’autre des catégories (1, 2 ou 3) dépend, en pratique, de l’état des connaissances à un certain moment. Du coup, une substance préalablement autorisée peut voir son autorisation de mise sur le marché (AMM) retirée suite, par exemple, à la publication d’une nouvelle donnée scientifique ou à l’évolution des outils d’analyses. En pratique, certaines substances pourraient donc traverser les mailles du filet… En cas de doute, tout salarié peut bénéficier d’un examen médical, sur simple demande.
Protection collective
Reste un problème fréquent : toutes les substances chimiques utilisées en entreprises ne sont pas forcément substituables. Citons par exemple des peintures contenant des chromates, à savoir des composés cancérogènes du Chrome VI, difficiles à remplacer dans le secteur aéronautique, par exemple. Dans ce cas, il faut sécuriser le lieu de travail afin de protéger les salariés. « La règle, c’est d’installer des protections collectives sur tous les postes de travail à risques », souligne Philippe Prudhon, directeur technique de l’Union des industries chimiques (UIC). La solution la plus sécurisante consiste à supprimer toute présence humaine en mécanisant les opérations industrielles. « Par exemple en installant des lignes de production automatique », reprend Michèle Guimon. « Une autre alternative consiste à travailler dans un espace clos afin de s’assurer qu’aucune substance CMR ne puisse s’échapper. » Il faut alors prévoir une ventilation mécanique contrôlée (VMC) et un système d’aspiration à la source. A savoir, des systèmes visant à extraire les fumées, vapeurs et autres émanations toxiques issues de l’activité de travail, à l’aide d’un capteur disposé au plus près de l’activité du travailleur. Par exemple, un capteur de fumée pour la soudure, puis à les extraire à l’extérieur de la salle de travail tout en insufflant de l’air neuf à la place. C’est ainsi que procèdent, par exemple, les carrossiers qui utilisent des cabines à peinture dans leurs garage au moment de peindre ou poncer les véhicules.
La substitution, pas toujours indispensable
« Lorsqu’elles ont un usage d’intermédiaire de synthèse, la vocation de certaines substances CMR n’est pas d’être mise sur le marché mais transformée en d’autres substances beaucoup moins dangereuses, voire totalement inoffensives », note toutefois Claude Bourgeois, directeur sécurité environnement produits chez Arkema, un fabricant de substances chimiques intermédiaires, destinées à être transformées ensuite par des industriels en produit final pour le consommateur. « Il n’est donc pas indispensable de les substituer. » Dans ce cas, le risque est transféré aux industriels, habitués à la manipulation de ces substances. A charge pour eux de tracer ces produits dans leurs chaînes de production mais également de gérer l’incinération de leurs déchets.
EPI
La solution du travail en « vase clos » implique par ailleurs de protéger le salarié avec des équipements de protection adaptés. « Cela revient à empiler les barrières contre les CRM », souligne Philippe Prudhon. En pratique, le salarié peut être équipé d’une combinaison isolante, de gants et lunettes de protection mais également de demi-masque ou de masque complet, équipés de filtres qui devront être changés dès que la moindre odeur se fait sentir à l’intérieur. Notons que, d’une manière général, le fonctionnement de tous les EPI doit être périodiquement vérifié. Un peu plus lourde à déployer, une autre solution consiste à utiliser des systèmes de ventilation assistée. A savoir : le salarié est relié à un générateur d’air, et en reçoit en grande quantité au niveau de la bouche et des narines de manière à chasser l’air impur, sous sa visière ou sa cagoule. Pour les environnements les plus malsains, viennent ensuite des dispositifs complexes visant à isoler de manière totale les utilisateurs de l’air ambiant. C’est le cas par exemple des appareils de respiration isolants (A.R.I.), un système qui consiste pour l’employé a transporter des bouteilles d’oxygènes au cours de son activité. Le recours à l’une ou l’autre des solutions dépend des indications formulées sur la fiche de sécurité (FDS) qui accompagne obligatoirement chaque produit dangereux.
Fiches de sécurité
Afin de gagner en efficacité, ces FDS ont été réformées par le dispositif de réglementation européen Reach (lire l’encadré ci-dessous), en 2007, afin d’intégrer des scénarios d’exposition aux substances. « Auparavant, les FDS contenaient uniquement les caractéristiques des substances chimiques ainsi que des recommandations de sécurité qui pouvaient éventuellement y être associées. Par exemple, le port d’équipement de protection individuelle, comme des gants ou des lunettes de protection », poursuit le directeur technique de l’UCI. « Désormais, on y trouve également des informations concernant l’utilisation de la substance. » A savoir : les nouvelles FDS intègrent différents scénarios d’exposition au produit, c’est-à-dire des cas d’utilisations susceptibles d’avoir un impact sur la santé des utilisateurs (travailleurs) et/ou de l’environnement. « En matière de gestion du risque, la FDS recense pour chaque substance chimique un ensemble de mesures préconisées », détaille Claude Bourgeois, directeur sécurité environnement produits chez Arkema, fabricant de substances chimiques. « A terme, les FDS apporteront une gestion plus précise des produits dangereux. Toutefois, il est encore trop tôt pour se prononcer sur leur impact car elles ne sont pas encore largement diffusées. En outre, leur lecture est complexe, elle demande un apprentissage par les utilisateurs. » Historiquement, les FDS sont des documents de cinq à six pages environ. Aujourd’hui, ils font parfois plus de 100 pages.
© Guillaume Pierre, Agence TCA-innov24
La réglementation sur les produits chimiques se durcit
L’Union européenne a renforcé sa réglementation sur les substances chimiques avec l’obligation d’étiqueter les produits et de déclarer les substances produites à plus de 1000 T/an. Cette dernière obligation s’étendra, en 2013, aux volumes de plus de 100 T/an à 1000 T/an.
Les réglementations sur les substances chimiques tendent à s’homogénéiser. A commencer par leur étiquetage. En effet, lors du sommet de la Terre à Johannesburg en 2002, les Nations unies ont proposé d’instaurer un système global harmonisé (SGH). L’idée consiste à unifier les informations du même produit réparties dans plusieurs pays. L’Europe en a repris les grandes lignes dans sa nouvelle réglementation, dénommée Classification, Labelling and Packaging (CLP) et devenue obligatoire en 2010. Celle-ci reprend la très grande majorité du SGH, notamment les indications normalisées sur l’étiquette des produits. Parallèlement, une réglementation européenne visant à tracer les substances a vu le jour en 2007. Nom de code : Reach, un dispositif d’enregistrement, d’évaluation et d’autorisation des produits chimiques.
Prochaine échéance en 2013
Elle oblige les fabricants et les importateurs de substances chimiques sur le marché européen à transmettre toutes les informations relatives à leurs produits à l’Echa (Agence européenne des produits chimiques), un organisme basée à Helsinki, en Finlande. « L’industriel a l’obligation de déclarer ses substances à l’organisme et doit montrer qu’il l’a fait dans les temps impartis. Par exemple, toute substance qui a été produite ou importée dans l’UE avec un volume de plus de 1 000 tonnes par an devait être enregistré l’année dernière, à la fin du mois de novembre », souligne Philippe Prudhon, directeur technique de l’Union des industries chimiques (UIC). « Ceux qui ne l’ont pas fait ont définitivement perdu le droit de fabriquer ce produit. » Un nouvel enregistrement aura lieu en mai 2013 pour les volumes de plus de 100 T/an, puis 2018 pour le reste. Pour aider les industriels à s’y préparer, l’Echa édite deux logiciels, à savoir Reach-it et IUCLID5, utiles respectivement pour gérer les données concernant les produits chimiques et celles accompagnant les demandes d’enregistrement.
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