Quelle est la meilleure manière de discuter des risques psychosociaux (RPS) en entreprise ? Telle est la question à laquelle les partenaires sociaux tentent – parfois difficilement – de répondre, puisque la discussion sur ces fameux RPS figure depuis quelques années à l’agenda social obligatoire dans les entreprises. Avec pour but d’éviter que le mal-être au travail, voire le « burn out », le harcèlement ou, pire, les suicides professionnels ne se banalisent. Telle était, également, la question centrale de la journée du 12 septembre, organisée à Paris et intitulée « Du travail comme risque, au travail comme source de santé et d’efficacité ». Elle clôturait plusieurs mois d’échanges entre partenaires sociaux, sous la houlette de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), de l’Observatoire social et international (OSI) et de Réalité et dialogue social (RDS).
Les chefs d’entreprise responsables
Faut-il diagnostiquer précisément le niveau de bien-être ou de mal-être des salariés, discuter de façon moins formelle, s’attacher plus largement à la question de la santé au travail ou ne se focaliser que sur les fameux risques psychosociaux ? Dans ce débat, Henri Lachman, président du conseil de surveillance de Schneider Electric et corédacteur du rapport Lachman-Pénicaud-Larose consacré au bien-être et à l’efficacité au travail en 2010, avait un diagnostic tout à fait personnel. Et particulièrement volontariste. « Il faut mettre le »mistigri » [à savoir la responsabilité, NDLR] sur le dos des managers, des chefs d’entreprise et des conseils d’administration », a-t-il affirmé. « Car la santé au travail n’est pas l’affaire des médecins mais celle des managers. » Les chefs d’entreprise doivent comprendre qu’il existe une relation étroite entre bien-être au travail et efficacité. Et que salariés et patrons ont, en la matière, une profonde communauté d’intérêts. Mais le rôle le plus important revient aux managers de proximité. Lesquels, ces dernières années, ont justement vu leur rôle être profondément bouleversé, et même souvent se déliter.
L’entreprise source importante de bien-être
D’un côté, jamais l’importance du travail comme source potentielle de développement personnel, de socialisation, d’accomplissement, de lien social, n’a été aussi forte. « En France, ce lien est très particulier », a rappelé Henri Lachman. Le rôle du travail est primordial. « Quand l’école éprouve toutes les difficultés à jouer son rôle, quand la famille fout le camp, le travailleur a vraiment un besoin de lien social et de bien-être au travail », remarque Henri Lachman. Le travail, c’est donc… la santé ! Mais si les attentes sont de plus en plus fortes, l’entreprise, de son côté, n’y répond plus ou trop rarement. « Dans les grandes entreprises, les managers de proximité n’existent plus », affirme le patron de Schneider. Car ces managers sont monopolisés par des tâches de reporting, englués dans des processus de plus en plus nombreux qui, souvent, tiennent lieu de recette de management.
Trop de process tue le management
« Nous sommes en surplus de process. Le process l’emporte sur l’initiative et le travail individuels. Comme si l’on ne faisait plus confiance, comme si l’on ne donnait plus de poids à l’initiative », assène Henri Lachman. Bien entendu, appliquer un processus est plus facile – plus confortable – que prendre et laisser prendre des initiatives. « Mais le manager ne doit pas abdiquer. Et surtout pas au profit du DRH qui ne peut pas tout faire. Comment reprendre le dessus sur le processus ? En arrêtant de travailler en silo », conseille Henri Lachman. « Le règne des technologies de l’information fait qu’on ne communique plus. C’est absurde, mais c’est la réalité : les TICs isolent. » Le dialogue, déjà fragile, est remplacé par des échanges d’e-mails impersonnels. Or, il faut faire vivre le dialogue social, véritable élément de compétitivité. Et Henri Lachman de porter sur ce point un jugement particulièrement sévère sur la France : « Dans notre pays, ce dialogue est archaïque. Lorsque les partenaires sociaux doivent réfléchir à un problème, ils lisent leurs comptes-rendus, parfois en se tournant le dos. » Apprendre à discuter entre personnes forcément différentes est donc un préalable. « Lorsque deux personnes sont toujours d’accord, j’ai l’habitude de dire qu’il y en a une de trop ! » L’impulsion doit alors venir des dirigeants et tout particulièrement des conseils d’administration, mais aussi des écoles. Y compris les écoles de management qui, en réalité, forment très mal à la gestion des hommes.
Changer les thermomètres
Mais lutter contre les risques psychosociaux nécessite aussi de casser le thermomètre de l’entreprise. Autrement dit, la façon de mesurer la performance. « La mesure induit les comportements. Les gens se conduisent selon la façon dont ils sont mesurés », rappelle Henri Lachman qui conseille d’arrêter de tout baser sur la performance financière et sa publication trimestrielle. « Or, le temps de l’entreprise n’est pas celui du trimestre ! » estime Henri Lachman. Libre à chaque entreprise de choisir les quelques indicateurs – pas trop tout de même – qu’il lui semble important d’atteindre. Sans oublier de lier les rémunérations variables à ces indicateurs. « Cela permettra de voir émerger des comportements de managers plus vertueux », prédit le président du conseil de surveillance de Schneider Electric. Mais apprendre à tenir compte d’autres indicateurs de performance que l’efficacité économique prend du temps. L’exemple du corps hospitalier – Henri Lachman étant membre du conseil d’administration d’une structure de santé – en offre un exemple a contrario : « Les médecins se focalisent sur leur rôle médical. Se fichant totalement de leur rôle économique et social. » Et de fait, bien souvent, les hôpitaux sont des lieux… de mal-être au travail. Henri Lachman en est cependant conscient : tous les patrons ne partagent pas son point de vue. C’est même un euphémisme. « Reste que la prise de conscience est en marche. Les choses avancent. »
© Catherine Bernard / TCA-innov24
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